Ashoka en otage

Pas facile d’imposer la discipline historique là où règne d’ordinaire le discours mythologique. Nayanjot Lahiri y parvient magistralement avec « Ashoka dans l’Inde ancienne », si l’on en croit l’historien Charles Allen dans la Literary Review britannique. En Inde, tout le monde a entendu parler d’Ashoka (304 à 232 av. J.-C.). Découvert par l’historiographie coloniale britannique, le monarque de la dynastie des Maurya a ensuite alimenté la fierté nationale : dirigeant autochtone, « ce pionnier a uni son pays, le dotant d’une loi fondée sur l’éthique. Plus de deux mille ans avant Gandhi, Ashoka a cherché à promouvoir la tolérance et la non-violence comme mode de gouvernement », souligne Allen. Au moment de l’Indépendance, le laïc Nehru fait d’ailleurs de cet empereur converti au bouddhisme une figure fondatrice de l’imaginaire national, imposant ses symboles, notamment la roue du drapeau indien, ou dharmachakra. Et maints garçons de la middle class ont été prénommés Ashok. Revers de la médaille, la recherche a été prise en otage par l’idéologie. L’Antiquité védique fait figure d’ « âge d’or », critiquait dès 1972 l’historienne Romila Thapar, de l’université JNU, à New Delhi. Aujourd’hui, sous le gouvernement nationaliste (BJP) de Narendra Modi, « les temps sont au patriotisme xénophobe, hostile à une historiographie coloniale accusée d’avoir dénigré le glorieux passé hindou », constate Charles Allen. L’humanisme d’Ashoka n’a plus le vent en poupe, alors que s’impose « une mythologie brahmanique favorable au système des castes », véritable « ramaïfication » de l’histoire, selon le mot de l’écrivain William Dalrymple (en référence au dieu hindou Rama). Attentive aux « édits d’Ashoka rédigés en sanscrit, grec, araméen, tamoul », Nayanjot Lahiri s’oppose à ce révisionnisme du nationalisme hindou.
LE LIVRE
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Ashoka dans l’Inde ancienne de Nayanjot Lahiri, Harvard University Press, 2015

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