Le revenu minimum universel en 1795
Publié le 9 mars 2016. Par La rédaction de Books.
Ivan Yermenyov, The Singing Beggars
Les sénateurs ont débattu, ce mercredi, de la possibilité d’instaurer un revenu minimum universel. Cette somme fixe, permettant un niveau de vie suffisant, et accessible sans condition de revenu ou d’activité, a un précédent resté célèbre : le Speenhamland Act.
L’histoire commence en 1795, quand les juges de paix du comté de Berkshire, en Angleterre, mettent en place « un revenu minimum indexé sur le coût de la vie ». Cette allocation accessible à tous les nécessiteux, y compris au travailleur (à concurrence d’un plafond), prend en compte la dimension de la famille et le prix du pain, rappelle Jacques Rodriguez dans Le Pauvre et le sociologue. Elle repose sur l’idée d’un « droit de vivre ». Les magistrats du Berkshire n’agissent pourtant pas par idéalisme. Face à une situation économique dégradée par la guerre et les mauvaises récoltes, ils cherchent à éviter la multiplication des émeutes de la faim et le risque de révolution. L’impôt des pauvres, une taxe levée jusqu’alors pour subvenir aux anciennes formes d’assistance, sert à financer le nouveau système.
Dans les années qui suivent, de nombreux comtés imitent le Berkshire. En 1796, le Premier ministre William Pitt envisage même d’étendre la mesure à toute l’Angleterre. Une proposition qui déchaîne les passions. Le Speenhamland Act est l’antithèse du modèle libéral en vogue à l’époque. Des penseurs comme Morton Eden, Jeremy Bentham et Thomas Malthus sont vent debout contre cette mesure. Ils affirment que cela incite les employeurs à fixer les salaires au-dessous du juste prix, mais surtout que ce revenu inconditionnel détruit la valeur travail et encourage l’assistanat. Malthus va même plus loin : le dispositif n’aide pas les pauvres, il les crée, notamment en incitant les démunis à se marier plus jeunes et à avoir plus d’enfants. Le Speenhamland Act finira par être abrogé en 1834 pour faire place à un système conditionnant l’aide à l’activité.
Aujourd’hui, les défenseurs du revenu universel « ont repris le flambeau du Speen », assurent les universitaires belges Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs dans L’Allocation universelle. Mais, connaissant la fin de l’histoire, ils s’efforcent d’en éviter les défauts : plus question de définir un plafond, mais un plancher de ressources, pour s’assurer que « le travail paie ».