Publié dans le magazine Books n° 9, octobre 2009. Par russe Nori.
Le Maître et Marguerite restructuré et coupé, ce n’est plus Le Maître et Marguerite. La version graphique du roman de Boulgakov a perdu la magie qui fait de l’original un chef-d’œuvre.
Dans un article intitulé « Le fait littéraire » et publié en 1924, Iouri Tynianov (1) affirmait que les romanciers, dans l’Union soviétique d’alors, écrivaient sans joie, comme s’ils avaient à pousser des rochers. Il ajoutait que les éditeurs portaient ces rochers à l’imprimerie avec moins de joie encore, et que les lecteurs les considéraient ensuite avec la plus totale indifférence. Ils se traînaient jusqu’aux librairies en demandant : alors, quoi de neuf ? Et, après s’être vu confier ce qu’ils étaient venus chercher, ils s’apercevaient qu’il n’y avait là nulle nouveauté. Selon Tynianov, les éditeurs ne publiaient en effet, à quelques exceptions près, que les aventures de Tarzan, du fils de Tarzan, de la femme de Tarzan, de son bœuf et de son âne. Grâce à ces éditeurs, et à la propagande d’Ehrenbourg (2), le lecteur finissait presque par penser que la littérature russe se résumait, en substance, aux aventures de Tarzan.
Je soupçonne fort que Tynianov fait référence ici à cette masse d’orphelins à demi sauvageons qui étaient devenus les principaux protagonistes des romans russes des années 1920, dans le sillage du premier roman d’Ilya ...