Ce que dit le communiqué de Moody’s

Le 17 octobre, l’agence de notation Moody’s publiait un communiqué relatif aux capacités de remboursement de l’Etat français. Largement repris dans la presse, ce court texte a été presque universellement interprété dans un sens alarmiste. L’économiste Pierre Jacquet revient à la lettre du communiqué et montre combien ces réactions sont exagérées.

Un peu agacé par les agences de notation dans un premier temps, puis par l’avalanche de commentaires catastrophistes et donneurs de leçons, je suis allé voir le vrai communiqué de Moody’s (ce que, visiblement, les journalistes et commentateurs divers n’ont pas fait) – voici quelques remarques, car je trouve le traitement médiatique qui en a été fait particulièrement édifiant. 1. L’annonce Moody’s intervient dans le cadre normal et routinier de la publication du rapport annuel sur la situation du crédit de la France. Le premier paragraphe confirme la notation Aaa avec perspective stable. Le second spécifie que ce rapport n’est pas un exercice de notation. Le troisième rend hommage aux atouts du pays. Le quatrième note l’affaiblissement, cependant, de la capacité financière, comme pour les autres pays de la zone euros, pour tout un tas de raisons, et mentionne « Moody’s nevertheless continues to deem France’s financial strength to be very high, particularly when compared with debt affordability (interest burden in relation to government revenues) which remains comfortable » (« Moody’s continue néanmoins de juger très haute la puissance financière de la France, en particulier sous le rapport de sa capacité de remboursement (rapport des intérêts de la dette aux revenus de l’État), qui reste confortable ») ; une vérification avec les statistiques de l’OCDE confirme ce dernier point. Ce paragraphe notre cependant que la détérioration des chiffres de la dette les place parmi les plus faibles des pays qui restent classés Aaa. Le dernier paragraphe, celui qui a attiré tous les commentaires inquiets, note que le gouvernement français a dorénavant moins de marges de manœuvre, que l’engagement continu du pays à mettre en œuvre les réformes économiques et fiscales nécessaires ainsi que des progrès visibles seront important pour le maintien du « stable outlook » (« perspectives stables ») et que Moody’s va suivre cela de près dans les trois prochains mois. J’avoue que rien de tout cela ne me surprend (on aurait quasiment pu l’écrire sans recherche particulière, et on aurait sans doute été spontanément moins laudatif dans les trois premiers paragraphes !)… et que l’ensemble est plutôt bienveillant ! 2. Or dans la presse, toute la journée hier et encore ce matin, les commentaires parlaient de sonnette d’alarme tirée par Moody’s, ou, encore plus de « mise en surveillance » de la France, Moody’s se préparant à dégrader la note dans trois mois (vous aurez noté que ce qui se passe dans trois mois, c’est une annonce de Moody’s sur le maintien ou non du « stable outlook » de la note Aaa : j’avoue que la situation actuelle aurait pu amener à déclarer dès à présent, y compris pour d’autres pays Aaa d’ailleurs, que la note Aaa ne resterait pas nécessairement « stable » dans les mois qui viennent ! Où est la surprise de cette analyse ? 3. J’en déduis deux choses, l’une hypothétique mais intuitivement séduisante : tout ce bruit médiatique est utilisé à des fins politiques, pour faciliter des décisions internes difficiles ou pour lancer la campagne et faire peur aux Français – on voit bien qui peut y avoir intérêt. La seconde est plus sérieuse : on parle beaucoup des aspects nocifs de la spéculation sur les marchés financiers. Or on est là en pleine « spéculation » intellectuelle, et c’est très dangereux puisque l’une des caractéristiques actuelles de la crise tient à la détérioration de la confiance beaucoup plus qu’aux « fondamentaux » (qui jouent bien sûr un rôle). Le marché de l’information (toutes formes de presse, etc.) est évidemment sujet aux mêmes excès que les marchés financiers (c’est d’ailleurs très proche). Je n’ai rien contre un Nouriel Roubini qui annonce l’explosion de l’euro (encore que j’estime qu’il n’apporte pas grand-chose au débat et met de l’huile sur le feu compte tenu de sa position, ce qui n’est pas très responsable). Mais lorsque « l’information » est manipulée, il y a problème.  D’où question : quel type de régulation faudrait-il ? Une agence indépendante de contrôle de qualité (ex post) de la presse avec mécanisme de certification (reprenant par exemple la grille de notation des agences, ce qui ferait qu’on aurait des journaux Aaa…) ? Mais une agence financée comment ? En tout cas, c’est un vrai problème, et je suis surpris de ne pas avoir vu encore de papier sérieux sur le sujet. On voit bien l’intérêt commercial des journaux à faire mousser toute nouvelle et à faire peur, et on connaît l’asymétrie « commerciale » des nouvelles : les bonnes font moins vendre que les mauvaises, on aime bien se faire peur, et toute mauvaise nouvelle soutient une tendance assez universelle, à savoir la possibilité de critiquer. La « liberté » de l’information laisse du coup un peu perplexe, non ? Au moins tant qu’il n’y a pas de mécanisme de certification de la qualité. 4. Cela étant, la situation actuelle me semble gravissime. Les banques sont extrêmement inquiètes, on n’a jamais été aussi près d’un effondrement systémique, et j’avoue que je ne vois pas bien comment l’éviter. Il faudrait en toute urgence annoncer (ce week end) une restructuration de la dette grecque, mais cela suppose une action collective dont les fondements ne sont pas encore réunis, il faut d’abord que la situation soit perçue comme encore plus grave. 5. Derrière tout cela, je crains qu’il y ait une vraie crise de la démocratie, et cela me semble également inquiétant.

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