Ce que les universitaires ne peuvent pas dire

« Il a décrit la corruption avant de quitter le pays », titre la New York Review of Books en rendant compte du livre d’Evan Osnos, Chine, l’âge des ambitions (Albin Michel, 2015). Les détails fournis par le journaliste n’auraient jamais pu sortir dans un livre universitaire, écrit Perry Link, lui-même professeur à l’université de Californie et à Princeton. Les spécialistes sont trop liés au pays pour écrire ce qu’ils savent vraiment. Ils ont besoin de pouvoir y retourner. Ils sont « mariés à la Chine pour la vie ». La corruption était déjà dénoncée avec virulence par les manifestants de Tiananmen. Elle n’a fait que croître depuis lors, s’institutionnalisant au point de devenir une obligation. « Si vous n’acceptez pas de bakchich, vous devez sortir du jeu », explique un Chinois cité par Osnos. Les fonctions publiques s’achètent. Le journaliste évoque un poste de secrétaire municipal du Parti, à vendre pour 101 000 dollars ; un poste de chef de la planification urbaine pour 103 000 dollars. Celui qui acquiert ainsi le poste compte sur les prébendes et les cadeaux pour rentabiliser son investissement. « Un général une étoile peut espérer toucher 10 millions de dollars en cadeaux et paiements pour passation de marchés ; un commandant quatre étoiles, au moins 50 millions. De nombreux responsables qui se sont enrichis quittent le pays. Un rapport interne de la Banque centrale évaluait à 18 000 le nombre d’officiels qui se sont exilés depuis 1990, avec un magot de 120 milliards de dollars au total ». Il faut graisser la patte pour se faire soigner à l’hôpital ou inscrire un enfant dans une bonne école. Pour éviter les expressions fâcheuses, on utilise des mots aseptisés comme « tarif », sponsoring »… Selon le journaliste américain Michael Forsythe, en 2012, la fortune cumulée des 70 membres les plus riches de l’Assemblée nationale populaire représentait près de 90 milliards de dollars, soit plus de dix fois plus que la fortune cumulée de tous les membres du Congrès américain. Au moins quatre des familles des neuf membres du Comité permament du Bureau politique qui dirigeaient le pays entre 2007 et 2012 possédaient des avoirs supérieurs à 150 millions de dollars.

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