Claude Lévi-Strauss, sans ambiguïtés ?

Une comparaison rapide des articles dédiés à Lévi-Strauss dans les wikipédia français, anglais, allemand et néerlandais, suffit à montrer des différences notables dans l’analyse et l’évaluation qui est faite de la pensée de l’anthropologue français dans diverses aires culturelles.


La version française, ce n’est pas une surprise, est de loin la plus longue, mais elle n’est pas la meilleure parmi celles que nous avons consultées. Cette longueur n’est, en l’occurrence, même pas gage d’une meilleure information tant l’article s’égare dans des considérations inutiles et hors sujet. En même temps, cette version française présente un plus grand nombre d’annexes, ce qui constitue sans doute son mérite principal. En effet, nous touchons là un élément primordial de toute encyclopédie, à savoir fournir au lecteur un ensemble de données factuelles qui vont de la date de naissance à la bibliographie de l’auteur abordé. A ce niveau aussi, cependant, quelques faiblesses sont à déplorer : la bibliographie fait l’économie d’ouvrages essentiels et, de façon typique, de regards critiques. La liste des doctorats honoris causa n’est pas d’une importance cruciale pour la connaissance de l’auteur, pas plus que l’énumération de ses décorations.


La plus sérieuse déficience vient toutefois du texte lui-même qui nous laisse quelque peu pantois. On pourra, à la rigueur, admettre l’absence de tout point de vue critique qui semble caractériser la production scientifique française fleurissant en cette année commémorative. Mais il est pour le moins stupéfiant d’en voir ressortir une œuvre d’une cohérence impeccable, ne souffrant apparemment d’aucune ambiguïté. Certes, le texte évite l’hagiographie pure et simple, mais on ne peut que déplorer la portion congrue qui est réservée à la discussion de l’œuvre en elle-même. Un bref coup d’œil suffit à remarquer qu’il est beaucoup question de Durkheim, de Boas, de Freud ou de Mauss, mais très peu de Lévi-Strauss. Comme si cet auteur avait passé le plus clair de son temps à réfuter les théories de ces illustres prédécesseurs. Il faut attendre la page 9 sur les 10 et quelques lignes que compte l’article pour que la présentation de l’œuvre proprement dite soit, enfin !, abordée.

Inutile de dire que c’est alors le pas de charge et le raccourci schématique qui fait loi. L’étude des relations de parenté est balayée en quelque cinq lignes, terriblement banales et passablement discutables et qui, en tout cas, sont totalement inutiles. Pas un mot ne concerne les quatre principaux volumes des Mythologies, et des ouvrages aussi essentiels que Les structures de la parenté, Tristes tropiques, Le totémisme aujourd’hui brillent par leur absence virtuelle (si l’on ose dire) de ce compte rendu, comme d’ailleurs la plupart des œuvres maîtresses. Les discussions sur la notion d’Histoire et, pire encore, sur le concept de structure manquent totalement d’inspiration et n’apportent rien au lecteur qui doit en fin de compte se demander ce qui justifie les nombreuses médailles et honneurs énumérés en annexe !


La seconde déficience n’arrange rien à ce tableau déjà trop sombre : elle concerne le contenu des articles qui semble témoigner d’une maîtrise assez moyenne de l’œuvre, le tout pourtant noyé dans un jargon assez abscons qui pourrait faire illusion. Ce pédantisme pseudo savant masque de très nombreuses erreurs et imprécisions. Présenter Lévi-Strauss comme un adepte du relativisme ne peut manquer de surprendre. Et lorsqu’on lit que « les structures inconscientes qui agissent sur les individus tiennent leur origine d’un ensemble de décalages entre signifiants et signifiés », on en vient à se demander si une telle formulation relève du génie obscur ou bien du charabia vide de sens.


De toute autre facture est la version anglaise. Moins longue, elle est beaucoup plus informative sur l’œuvre proprement dite, qu’elle parvient à saisir avec cette distance nécessaire à toute approche globale. C’est peut-être le malheur des admirateurs francophones de Lévi-Strauss d’avoir souvent abordé son œuvre en l’examinant à la loupe, sans jamais prendre de distance critique. A la synthèse, les Français préfèrent souvent l’exégèse. C’est cet écueil qu’évite la version anglaise qui tâche d’expliquer quelques aspects de cette œuvre et d’en ouvrir les portes.

Les anecdotes rendent le texte un peu moins austère sans lui faire perdre un bon niveau intellectuel d’ensemble. Il nous donne une idée de ce que Lévi-Strauss a pu écrire, principalement dans le domaine des mythes et de la pensée sauvage. Voilà donc une raison supplémentaire d’encourager les jeunes gens à apprendre les langues étrangères ! Tout en regrettant cependant que la lumière vienne d’ailleurs. La critique de fin de texte tombe, il est vrai, un peu à plat : elle ne concerne qu’un aspect mineur de l’œuvre. Et il faut se référer à la version allemande pour lire une critique plus globale sur l’absence de données empiriques chez Lévi-Strauss. Cette version, comme la version en langue néerlandaise d’ailleurs, est néanmoins plus courte, assez conventionnelle et pas très inspirée. Notons enfin que ces trois dernières versions présentent Lévi-Strauss comme anthropologue et/ou ethnologue alors que la version française lui attribue aussi la qualité de philosophe.


=> Pour comparer : lire les articles des encyclopédies Universalis et Britannica sur Claude Lévi-Strauss

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