Comment sont nés les gangs salvadoriens

Depuis des décennies, une épidémie fait rage au Salvador. Une épidémie de mort. C’est ainsi que l’on peut qualifier l’extraordinaire violence qui décime la population de ce petit pays d’Amérique centrale, en vertu des critères établis par l’ONU : au-delà de 10 homicides pour 100 000 habitants, on parle d’épidémie. En 2016, on en comptabilisait 83,1 pour 100 000 habitants au Salvador, contre 1,26 en France.

C’est dans cette société où il ne fait pas bon vivre que nous plongent les frères salvadoriens Óscar et Juan José Martínez. Óscar est journaliste d’investigation pour le quotidien en ligne El Faro, Juan José est anthropologue. Tous deux travaillent depuis plus de dix ans sur l’univers des pandillas, ces bandes dont les affrontements meurtriers rythment le quotidien des Salvadoriens. Dans El niño de Hollywood, ils retracent la vie de Miguel Ángel Tobar, membre de l’un des gangs les plus redoutés du pays, la Mara Salvatrucha 13.

Les gangs, la haine en héritage

« Au fil des pages, on réalise que, dans l’enquête des frères Martínez, le personnage principal n’est ni un tueur à gages, ni une organisation criminelle, ni un gouvernement incompétent. C’est la haine, la haine héritée de générations qui ont été maltraitées et méprisées », analyse l’écrivain et cinéaste Javier Kafie dans le magazine salvadorien en ligne Factum.

Au-delà de la dimension biographique de l’ouvrage, il s’agit pour les frères Martínez de donner à voir comment les processus globaux façonnent les trajectoires individuelles. Les deux bandes rivales dont les membres s’entre-tuent aujourd’hui au Salvador, la Mara Salvatrucha 13 et Barrio 18, sont toutes deux nées à Los Angeles, où des milliers de Salvadoriens fuyant la guerre civile ont trouvé refuge dans les années 1980. Pour se protéger des bandes qui font alors la loi à Los Angeles, les jeunes réfugiés constituent les leurs. Ces bandes deviennent vite des gangs qui tombent dans la délinquance.

Du Salvador à Hollywood et retour

Lorsque la guerre civile prend fin en 1992, le gouvernement américain entreprend d’expulser ces migrants, pensant régler ainsi le problème de la criminalité. Erreur : non seulement les gangs prospèrent sur le terreau fertile d’un pays dévasté par des années de conflit, mais les pandilleros expulsés des États-Unis reviennent bientôt clandestinement conquérir des quartiers de New York et d’autres villes américaines.

Finalement, « raconter la vie et la mort de Miguel Ángel Tobar, que l’on surnommait “El niño de Hollywood”, c’est raconter la tragédie de l’Amérique centrale, faite d’années de violence, de discrimination, de dictature, d’expulsions, d’interventionnisme américain. Une tragédie faite de milliers de tragédies », constate amèrement Jorge Alonso Espíritu dans l’hebdomadaire mexicain Siempre!.

À lire dans  Books : un extrait d’El niño de Hollywood, mars 2020.

LE LIVRE
LE LIVRE

El Niño de Hollywood. Comment les USA et le Salvador ont créé le gang le plus dangereux du monde de Oscar et Juan José Martínez, Métailié, 2020

SUR LE MÊME THÈME

De l’avantage d’être un État fantôme
Lu d'ailleurs Médiocres milléniaux
Lu d'ailleurs Espionne et mère de famille  

Dans le magazine
BOOKS n°123

DOSSIER

Faut-il restituer l'art africain ?

Edito

Une idée iconoclaste

par Olivier Postel-Vinay

Chemin de traverse

13 faits & idées à glaner dans ce numéro

Chronique

Feu sur la bêtise !

par Cécile Guilbert

Voir le sommaire