Daniel Mendelsohn contre les stéréotypes
Publié en février 2009. Par Thierry Grillet.
Qu’est-ce que cette Etreinte fugitive (éditions Flammarion) qui fait le titre du livre de Daniel Mendelsohn ? « A la fin des contes », comme dit l’un de ses amants italiens, c’est l'impossible saisie de l’eau entre les doigts. Drame du Narcisse qui échoue sans cesse à embrasser son image liquide et perpétuellement instable. Le « Qui suis-je ? » de Mendelsohn déroule des histoires qui s’enchevêtrent. La sienne, celle d’un Janus bifrons, dédoublée, entre une vie de gay new-yorkais et une vie de "famille", banlieusard du New Jersey, à côté d’une femme, Rose, et de son enfant, Nicholas - son quasi fils. Comme Frédéric Mitterrand l’avait fait dans La mauvaise vie, Daniel Mendelsohn raconte la genèse de son homosexualité. Celle d’un juif américain qui se cherche à travers de multiples miroirs. Miroirs brisés qui fragmentent le moi, éparpillé entre plusieurs appartenances. Comme pour Les disparus, l’autre volet de cette enquête sur l’identité qui l’avait conduit à interpréter son histoire familiale à la lumière des textes du Talmud, Mendelsohn passe son homosexualité au crible des textes antiques. Et peut-être plus profondément au filtre de la langue grecque et latine. Comment se rassembler alors qu’il y a tant de « moi-s » dans ce moi ? Comment être différent quand l’homosexualité vous projette dans un monde de l'identique ? Comment donc être unique ? Mendelsohn sait cette hantise d’être la réplique d’un autre. Dans Les Disparus, ses oncles et tantes pleuraient en le voyant, car ils croyaient reconnaître en lui les traits d’un aïeul disparu. Ici, c’est l’inquiétude d’être happé par les stéréotypes. Ceux de la culture gay. Ou ceux de la culture « cadres » banlieusards. Mendelsohn a beau être juif américain gay. Il parle d’une angoisse partagée par l’homme moderne dans ces temps guettés par le stéréotype généralisé. Lui a trouvé la clef en refusant l’identité fixe. Aucun stéréotype ne peut l’étreindre puisque son identité est quelque part dans le mouvant, entre Bolechov et New-York, entre le "village" et le New Jersey, entre être « garçon » et être « père », entre Athènes et Jérusalem.
Sur le même sujet, les entretiens vidéo que Daniel Mendelsohn a accordés à Books à propos de L'Etreinte fugitive et sur l'actualité de son pays.