De Gaulle, les raisons d’une admiration

Cinquante ans après son départ du pouvoir, de Gaulle reste « le président préféré des Français », et de loin. Tous les sondages le confirment. La moyenne d’âge des sondés étant de 41 ans, cela laisse rêveur. Que savent-ils réellement de ce personnage, de son histoire, de son rôle dans l’Histoire ? Peu de chose, sans doute. Mais assez pour éprouver un sentiment profond. Or les sentiments, en politique, cela compte. Cela pourrait être l’essentiel, soutient le sociologue Philippe Braud. En ces temps troublés, où les valeurs de la démocratie sont à nouveau remises en cause, la forte popularité du Général est un signal. Emmanuel Macron ne s’y est pas trompé, qui s’est fait photographier avec un exemplaire ouvert des Mémoires de guerre en évidence sur son bureau, a inséré une croix de Lorraine dans le logo de l’Élysée et fait le pèlerinage de Colombey pour fêter les 60 ans de la Constitution. Le politologue Olivier Duhamel a récemment analysé dans la revue Pouvoirs les troublantes continuités entre de Gaulle et Macron. Le jeune président se coule dans le moule des institutions de la Ve République, sans rien y changer. « Les grandes orientations et décisions politiques sont prises à l’Élysée et […] le chef de l’État s’empare de toute question qu’il souhaite trancher, majeure ou pas. » Mais Macron fait davantage : par rapport à ses prédécesseurs, il « retourne vers le fondateur ». Comme de Gaulle, il s’est porté candidat en se disant « ni de droite, ni de gauche » ou encore « et de droite et de gauche » (les expressions sont de lui). Comme de Gaulle, il s’est positionné au-dessus des partis et, une fois élu, a nommé des ministres de droite et de gauche aux côtés d’experts. « Monarchisme et technocratisme », note Duhamel. « Aristocratisme » aussi, « au sens de gouvernement des meilleurs ». De Gaulle et Macron sont les deux seuls présidents de la République à n’avoir pas eu de mandat électif auparavant. À ces éléments de continuité les historiens anglo-saxons en ajoutent d’autres. Pour Jonathan Fenby, « l’idée macronienne d’une présidence “jupitérienne” s’inscrit naturellement dans le prolongement du rôle d’arbitre de la nation que de Gaulle s’était attribué. Les deux hommes sont venus au pouvoir à l’occasion d’une désintégration de l’establishment politique. Tous deux se sont attelés à des réformes économiques et sociales ». Tous deux se sont fait élire en partie pour leur intégrité. Avec la palme pour de Gaulle, dont la plupart des commentateurs anglo-saxons rappellent qu’il avait fait installer un compteur électrique séparé pour ses appartements privés à l’Élysée. L’Américain David Bell le souligne, Macron et de Gaulle ont aussi en commun « une vénération quasi religieuse de l‘État ». Un étatisme qui « protège les intérêts des élites […]. La société que Macron envisage est fondamentalement semblable à celle de De Gaulle : une société jouissant d’une égalité formelle, républicaine, mais où une élite instruite tient fermement les rênes du pouvoir ». Les continuités s’arrêtent là. Macron est bien sûr beaucoup plus jeune et moins expérimenté. Il a été élu « principalement par la gauche », note Duhamel, alors que le socle du général était beaucoup plus large. Il est aussi beaucoup plus interventionniste au quotidien, plus « intrusif », écrit Duhamel. Et puis, comme l’assène The Economist dans un article intitulé « Le père de Jupiter », Macron a beau être brillant, il lui manque la stature. Les émotions populaires mêlent toujours naïveté et sagesse. De Gaulle doit une part de sa popularité à ce qu’il incarne le syndrome Astérix : le Gaulois qui se dresse pour sauver les siens. Ne négligeons pas pour autant le sentiment d’admiration pour un homme dont on continue de percevoir confusément mais intensément des qualités qui font trop souvent défaut aux chefs d’État : le courage, l’indépendance d’esprit, l’intelligence de la situation, la hauteur de vue, la vision à long terme, l’incorruptibilité et un caractère hors du commun.

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