Dernier tango à Munich

Martin Walser met en scène un candidat au suicide sauvé par une passion inespérée.

Theo Schadt a été trahi : son meilleur ami Cargos Kroll, qui est aussi son partenaire en affaires, a vendu le secret d’un de leurs investissements les plus risqués à leur concurrent le plus acharné. Le voilà ruiné, réduit à tenir la caisse du magasin d’articles de tango que dirige sa femme. À 72 ans, sa vie semble derrière lui et il se met à fréquenter sur Internet les forums consacrés au suicide. En 2009, Martin Walser avait signé un roman intitulé « Un homme amoureux », sur la passion inaboutie du vieux Goethe pour la toute jeune Ulrike von Levetzow (de cinquante-cinq ans sa cadette !). Cette fois, son livre est intitulé « Un homme mourant », mais l’amour y joue encore un rôle de premier plan car, dans le magasin de sa femme, Théo s’éprend d’une cliente. Il mène son enquête, apprend son nom (Sina Baldauf), lui écrit. Et le miracle a lieu : elle répond, une correspondance s’ébauche. Parallèlement, sur son forum pour candidats au suicide, notre antihéros a noué une autre correspondance avec une mystérieuse Aster. « Avec ses lettres, ses mails, ses chats, ce livre ressuscite la forme du roman épistolaire », estime Richard Kämmerlings dans Die Welt. Theo écrit, en effet, à tout le monde : à Sina et à Aster donc, mais bientôt aussi à sa femme, qu’il s’est décidé à quitter pour vivre pleinement son amour pour Sina. « La correspondance avec Sina Baldauf, tout comme celle avec Aster, illustre l’idée du sociologue Niklas Luhmann selon laquelle l’amour est moins un sentiment qu’un moyen de communication. Les personnages ne cessent de s’écrire de jolies choses jusqu’à se persuader qu’ils sont importants l’un pour l’autre », remarque Friedmar Appel dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Walser ne serait pas Walser si son roman ne comportait pas une petite dose de polémique. Certes, rien de comparable à Mort d’un critique, qui, en 2002, avait provoqué en Allemagne l’un des débats les plus virulents des dernières décennies. « Un homme mourant » se contente de proposer, discrètement, une satire de la bourgeoisie cultivée munichoise. Theo n’est pas seulement entrepreneur, il a aussi signé quelques best-sellers, des ouvrages de développement personnel. Cargos Kroll, l’ami qui l’a trahi, est quant à lui une caricature de poète hermétique, dont les œuvres, prétend-il, « sont des événements linguistiques qui, à une époque où triomphe la médiocrité, ne sauraient être reconnus ». Un sort auquel, de toute évidence, a échappé « Un homme mourant », qui a connu un joli succès outre-Rhin.
LE LIVRE
LE LIVRE

Un homme mourant de Martin Walser, Rowohlt Verlag, 2016

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