Quand j’avais seize ans, et que je fréquentais un lycée américain en France, un artiste entraînait plusieurs fois par semaine notre classe dans une cave malodorante pour nous y enseigner l’histoire de l’art. En début d’année, mes attentes à l’égard de ce cours n’étaient pas très différentes de celles des autres gosses : un conservateur de musée avait un jour persiflé en disant qu’à Houston, ma ville d’origine, l’exposition idéale pour attirer le public devrait s’intituler « L’or antique des impressionnistes ».
Le professeur, Jean-Philippe Lemée, utilisait des images censées captiver des adolescents – l’urinoir de Marcel Duchamp, par exemple –, mais il excellait surtout lorsqu’il nous révélait les mystères d’œuvres qui n’auraient pas immédiatement attiré le regard de ces béotiens un peu péquenauds que nous étions (1). Je me souviens particulièrement de la manière dont il dévoila un tableau de Chardin. Le dos rond, la queue dressée, un chat y fait irruption sur une desserte offrant la matière habituelle de la nature morte : une cruche, un couteau saillant, quelques ...