Publié dans le magazine Books n° 44, juin 2013. Par Bernice Martin.
Avec Marx et Weber, Durkheim est l’un des trois pères fondateurs de la sociologie. L’opinion contemporaine gagnerait à relire l’œuvre de ce Juif laïc, dreyfusard et inlassable défenseur des droits de l’homme qui plaçait le devoir social au-dessus des désirs individuels.
Comme celle qu’il avait consacrée en 2007 à Marcel Mauss, la nouvelle biographie d’Émile Durkheim que nous offre Marcel Fournier est un monument d’érudition. Fondée sur un riche corpus de documents récemment mis au jour, elle constituera un outil de travail indispensable. Fournier présente un dossier chronologique complet, mais en aucun cas une réévaluation critique de la théorie du sociologue ni de son rôle dans l’histoire intellectuelle européenne. Pour cela, il faut remonter à l’étude de Steven Lukes, quarante ans en arrière (1). Dans la biographie de Fournier, les débats politiques et intellectuels de l’époque n’apparaissent que lorsqu’ils ont un impact direct sur l’œuvre. Il serait difficile de deviner que Paris abritait à la veille de la Première Guerre mondiale une avant-garde internationale aux valeurs diamétralement opposées au positivisme rationnel de Durkheim.
La scandaleuse première du
Sacre du printemps en 1913 eut lieu quelques mois après la parution de son ouvrage le plus célèbre,
Les Formes élémentaires de la vie religieuse. Durkheim et Stravinsky partageaient cette fascination pour la « religion primitive » qui s’était emparé...