Inattendu
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Être optimiste, c’est bien naturel

Terrorisme, réchauffement, extrémisme, chômage, pluie, factures, mauvaises nouvelles en pagaille… Tout porte ces temps-ci à repeindre le monde en noir. Aller de l’avant et garder le moral est pourtant un penchant bien plus naturel, assure le Docteur Emmanuel Labat dans Notre optimisme, en 1915. Il y décrit « l’instinct de vie » comme « le premier de tous les optimismes ».

Le premier de tous les optimismes est l’instinct de vie, l’horreur de la mort, la joie, l’orgueil et la volonté de vivre. Il est à la racine même de notre être, où rien ne le précède. Il est dans l’élan mystérieux qui lance sur sa courbe la cellule initiale chargée de tous nos devenirs. Il est l’affirmation superbe que la vie est une bataille à gagner et que nous la gagnerons, que nous la gagnons tous les jours, que la victoire d’aujourd’hui est belle, que celle de demain le sera davantage, que tout va bien et que tout ira mieux encore. Il n’est pas un jugement, une conclusion de l’esprit, mais une intuition liée à la vie elle-même. La vie est un acte qui porte en lui certaines clartés, dont la première est la certitude du succès et les autres autant de forces qui nous aident à l’obtenir. L’optimisme est une affirmation de ce succès, qu’il réalise, en même temps qu’il nous révèle les moyens qu’il y emploie. L’intelligence n’a que faire ici. Elle est analyse et l’instinct synthèse. Elle trace le plan dont l’exécution vient après. L’instinct agit et l’action déroule elle-même son dessin. Dans l’ordre chronologique, l’instinct passe avant l’intelligence. L’éclair d’évidence, où la pensée réfléchie trouva la certitude de son existence, fut précédé d’un autre d’où sortit, non plus le syllogisme de Descartes, mais un cri de courage et de victoire : je vis, je vis, je vis ! Ce cri de l’optimisme soutint les premiers pas de l’humanité, alors que l’intelligence n’avait pas encore paru ; elle les soutient et dirige encore alors qu’elle est dans tout son éclat.

L’intelligence joue le rôle extraordinairement brillant que tout le monde admire et rend d’incomparables services. Mais, en fait, la vie n’est pas son domaine, et ceci n’est pas une nouveauté. Les grandes décisions, que la vie implique, ne lui appartiennent pas. Dans les affaires capitales, comme la guerre, où l’existence d’un peuple est en jeu, la science n’épuise pas la question. Certes, elle est indispensable, mais il faut qu’elle ordonne son effort sur celui de l’optimisme et se mette en parfait accord avec lui.

Le désaccord est fréquent et ancien. Il occupe une large place dans l’histoire de la pensée humaine. Il n’est pas près de finir. Ni l’instinct de vie n’arrêtera l’ascension de l’intelligence, ni les miracles de celle-ci n’éteindront l’instinct de vie. Sa défaite serait notre mort, et la science ne nous sauverait pas. Mais nous n’avons rien à craindre. La vie prend ses précautions.

Nous mettons souvent notre ambition à vivre sur des idées claires et garanties par l’intelligence. De temps en temps nous passons en revue ces idées, les vérifiant une à une, comme un ouvrier ses outils et un soldat ses armes : nous ne voulons qu’elles pour faire notre journée, journée de travail et de combat, dans la famille, le métier et la cité. Mais le soleil n’est pas sur son déclin que nous avons dû résoudre plus d’un problème à l’aide d’inspirations, sorties de certaines idées obscures, par nous désavouées. De cela quelques-uns souffrent cruellement, d’autres facilement se consolent, la plupart ne se doutent pas.

L’illusion est si facile ! D’abord, comme c’est l’intelligence qui relève tout ce qui se passe en nous, elle ne manque pas de s’attribuer de larges avantages. Et puis le jeu de l’optimisme vital est si discret, quand la journée est belle, qu’il passe inaperçu, encore que dans une vie moralement élevée, si facile soit-elle, il faille sans cesse un peu d’héroïsme. Il faut être héroïque une fois par jour, a dit William James. Il faut cela pour être simplement un brave homme, au sens plein et relevé du mot. Entendez qu’ici l’héroïsme est l’élégance morale. L’intelligence claire ne nous la donne pas en entier : elle ne soutient pas jusqu’au bout, jusqu’à leur pointe extrême, certains gestes très simples. Pour les achever, il faut « pouvoir plus qu’on ne sait, » — j’emprunte un mot de Claude Bernard, — et dépasser sa science. Chaque jour, les braves gens dépassent leur science et d’ailleurs ne s’en inquiètent guère. Tout se fait doucement, en sourdine, avec d’infinis ménagements pour l’intelligence prompte à s’alarmer. C’est le petit jeu de l’optimisme vital, celui de la navigation par mer calme et ciel serein.

LE LIVRE
LE LIVRE

Notre Optimisme de Emmanuel Labat, La Revue des Deux Mondes, 1915

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