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Le grand retour des espions

La Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE, chargée du renseignement à l’étranger) recrute ! Elle formera une nouvelle génération d’agents d’ici 2019. Aujourd’hui, les espions n’ont plus grand-chose à voir avec leurs collègues du début du XXe siècle, adeptes des chapeaux mous, des casinos et des gadgets improbables. Mais plus que la technique, l’important n’est-il pas la motivation, la morale ? Dans l’avant-propos de l’un des premiers romans d’espionnage paru en 1908, L’homme sans visage, Paul d’Ivoi redonne toute sa dimension héroïque à l’agent secret. Garanti sans fausse moustache.

 

Moi, Max Trelam, correspondant du Times, le puissant journal anglais, je tiens à déclarer qu’en écrivant ce récit, j’ai l’intention d’élever un monument à la gloire d’un homme dont la profession n’a point l’heur de plaire au plus grand nombre.

Cet homme est un espion.

Oui, un Espion… mais un espion étrange, inexplicable, peut-être unique.

D’abord, il n’a jamais été brûlé, selon l’expression usitée, alors que ses collègues professionnels ont tous succombé à un moment donné.

Ensuite, il a une audace, une clairvoyance incroyables. Sa puissance de raisonnement est telle que, secondée par un sens de l’observation que je n’ai rencontré au même degré chez personne, il arrive mathématiquement à prévoir ce qu’une circonstance donnée déterminera comme action chez un personnage d’un caractère connu.

Mais surtout, l’étrangeté de cet espion est sa loyauté. Ses actes, il les signe, avertissant ses adversaires qu’il est sur leur piste.

Vous penserez comme moi, j’imagine, qu’un être doué de qualités exceptionnelles peut seul se permettre si dangereuse franchise. Je vous étonnerai sans doute en ajoutant que mon très honorable espion est d’un désintéressement absolu, et que les gouvernements qui ont eu recours à ses talents en sont réduits à demeurer ses obligés.

Au moral, il est incompréhensible. D’une générosité chevaleresque, j’emploie le mot avec préméditation, car il joue sa vie chaque jour, il ne consent à s’occuper des affaires à lui soumises que si elles lui plaisent. Or, j’ai constaté que seules lui convenaient les missions ayant pour objet d’empêcher les guerres, de défendre les faibles contre toutes les oppressions.

Tendre, pitoyable, jusqu’au sacrifice de lui-même, en faveur des victimes, il devient d’une cruauté froide, je dirais presque raisonnée, dans l’assaut qu’il livre aux despotes de tout ordre.

Et cet homme, un des plus merveilleux spécimens sorti des creusets de la nature, cet homme digne de toutes les admirations, ne les recherche pas. Elles lui semblent indifférentes. Il va où sa conscience l’appelle. Le fleuve descend vers la mer ; la terre s’endort sous les brises glaciales de l’hiver, pour se réveiller au souffle tiède du printemps. Pourquoi est-ce ainsi ? Nul ne le sait. On bégaie scientifiquement. – Ce sont des lois naturelles.

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La vie du personnage que je présente aujourd’hui obéit aussi à une loi ignorée.

Moi, Max Trelam, je suis heureux de proclamer mon estime et mon affection pour sa supérieure individualité, qui domine à ce point le commun des mortels, qu’il accepte sans murmure ce mot si mal vu : Espion.

Je veux m’efforcer de montrer les services rendus à la cause de l’humanité par mon étrange ami. Je souhaite que tous le comprennent comme je le comprends, et que les trésors de tendresse qui dorment au sein des foules aillent à ce grand citoyen du monde.

Maintenant, je vais vous conter comment j’eus ce que j’appelle le bonheur, faute d’un mot plus expressif, de me rencontrer pour la première fois avec lui, d’assister, pour ainsi dire à ses côtés, à la lutte dont l’enjeu était la mort ou la vie de milliers d’hommes jeunes et vigoureux.

LE LIVRE
LE LIVRE

L’homme sans visage de Paul d’Ivoi, Albert Méricant, 1908

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