Heurs et malheurs de la psychiatrie
Publié le 9 juillet 2019. Par Pauline Toulet.
La psychiatrie est en crise, entend-on régulièrement. La prévalence des maladies mentales serait en hausse, la plupart des traitements datent des années 1950 et leur taux d’efficacité ne semble pas avoir progressé depuis quarante ans. Dans 70 % des cas, deux psychiatres examinant le même patient posent des diagnostics différents, pointe une étude publiée dans la revue The British Journal of Psychiatry. Pour mieux saisir les enjeux auxquels les psychiatres sont aujourd’hui confrontés, Anne Harrington, professeure d’histoire des sciences à Harvard, a entrepris de retracer la tumultueuse histoire de cette profession.
Fétichisme de la biologie
Avec Mind Fixers, « Harrington se montre impitoyable dans sa description de ce qui s’apparente souvent à du fétichisme de la biologie », pointe Jennifer Szalai dans The New York Times. Au XIXe siècle, l’approche biologique était triomphante : les médecins de l’époque étaient convaincus que l’origine des troubles mentaux se logeait dans le corps des malades. On traitait la schizophrénie en pratiquant l’ablation d’organes que l’on supposait infectés, souvent le côlon ou les ovaires, explique Harrington. Puis, le XXe siècle a vu apparaître la cure psychanalytique promue par Freud, entraînant une réorientation de la psychiatrie vers des soins davantage centrés sur la parole.
Au fil des décennies, un schisme entre le camp biologique et le camp psychanalytique s’est opéré au sein de la discipline. Les années 1940 marquent l’âge d’or de la lobotomie, l’opération consistant à insérer un outil effilé sous la paupière du patient pour sectionner certaines connexions cérébrales. Harrington raconte l’étonnante tournée du docteur Walter Freeman, baptisée « opération pic à glace ». En 1952, il a parcouru les États-Unis pour faire la promotion de la lobotomie, pratiquant jusqu’à 25 opérations dans la même journée.
L’histoire pendulaire de la psychiatrie
Puis c’est la théorie du déséquilibre chimique qui s’est imposée, relate Harrington. Les troubles mentaux seraient causés par un dérèglement du fonctionnement de certains neurotransmetteurs. Cette hypothèse, aujourd’hui contestée, a donné naissance aux premiers antidépresseurs. Harrington souligne à quel point l’histoire de la psychiatrie adopte un mouvement pendulaire, oscillant entre approche biologique et approche psychologisante.
« Les événements historiques et les changements culturels ont une grande influence sur les conceptions dominantes au sujet des causes et des traitements des maladies mentales. En retraçant la fluctuation de nos croyances sur le cerveau humain, Harrington esquisse une véritable histoire du XXe siècle », estime Jerome Groopman dans The New Yorker.
À lire aussi dans Books : John Strauss : « La réalité échappe aux manuels de psychiatrie », février 2011.