Homéostasie

Inventée depuis au moins vingt-six siècles et apparue spontanément en différents points de la planète dans des sociétés de dimensions modestes, l’élection des dirigeants est aujourd’hui pratiquée de manière libre et à peu près transparente dans un pays sur deux, représentant légèrement plus de la moitié de la population du globe. La démocratie la plus improbable, l’Inde, compte plus d’un milliard d’habitants. Souvent présentée comme une « conquête » et comprise sous l’angle moral d’une marche vers la reconnaissance des « droits de l’homme », la démocratie élective peut aussi être considérée sous un autre angle : un produit de l’évolution culturelle. L’espèce biologique Homo sapiens se distingue des autres par sa faculté de poursuivre l’évolution par d’autres moyens. Même s’il reste fragile et incertain, le succès tendanciel de la démocratie, le fait surtout que ce régime se soit imposé dans les pays à l’économie la plus prospère et au niveau d’instruction le plus élevé, signe une vertu particulière, sans rapport évident avec la morale. On peut dire que cette vertu est de nature homéostatique. L’homéostasie est la capacité qu’a l’organisme de maintenir dans un état de stabilité relative les différents composants de son milieu interne et ce, en dépit des changements constants de l’environnement externe. La démocratie élective est clairement le meilleur régime capable d’assurer l’homéostasie du corps social. Elle autorise l’exercice d’une fonction régulatrice fondamentale, faisant son affaire des multiples agents pathogènes qui se nourrissent de son sang. Éponge réactive et bien vivante, elle absorbe sans broncher démagogie, corruption, ambitions et jusqu’aux passions les plus extrêmes et les moins respectueuses d’elle-même. Pour filer la métaphore, mais sans plus exagérer, le vote lui-même peut être considéré comme un placebo : un médicament efficace, même s’il ne contient pas de molécule active. Efficace en ce qu’il contribue, en une ou deux prises, à réguler les humeurs tant du corps social que de l’électeur. « Élections piège à cons », disait Sartre. Piège à cons, peut-être, mais invention géniale.  

SUR LE MÊME THÈME

Edito Une idée iconoclaste
Edito No kids !
Edito Soigner mes traumas

Aussi dans
ce numéro de Books