Hommages rendus à Jubal
Publié dans le magazine Books n° 14, juillet-août 2010. Par Olivier Postel-Vinay.
À Dakar, un bras de fer est engagé entre le président Wade et le chanteur Youssou N’Dour. À Saint-Pétersbourg, Vladimir Poutine invite à sa table le rockeur Iouri Chevtchouk, lequel révèle, insolent, avoir été prié de n’aborder « aucun thème sensible ». À la Maison-Blanche, Barack Obama, entouré de Bob Dylan et de Joan Baez, préside une cérémonie en hommage au rôle joué par la musique dans le mouvement des droits civiques. À Paris, le Premier ministre François Fillon affiche son goût des chanteurs pop. En Afghanistan et au Pakistan, là où ils le peuvent, les talibans interdisent tout ce qui ressemble à de la musique. Faut-il qu’elle ait du pouvoir, la bougresse !
La musique est depuis si longtemps exploitée par le cerveau humain qu’elle l’a modelé en retour. L’invention des premiers instruments est relatée dans la Genèse. Nous, les Occidentaux, devons la lyre et la flûte du berger à un certain Jubal, fils de Lamech et Adah, descendant de Caïn. Cela valait d’être consigné. Aujourd’hui, technologie oblige, la musique est omniprésente. Elle est la première industrie culturelle, et de loin. On ne sait plus très bien quand il faut s’en réjouir ou en pleurer. On se moque de la musique d’ascenseur, on peste contre l’insupportable « fond » qui inonde les lieux publics, on s’émeut de l’adulation d’idoles éphémères, on s’inquiète de la toxicomanie musicale solitaire ou collective.
D’un même mouvement, on se réjouit des fonctions positives de la musique, si nombreuses : contre la solitude, la tristesse, l’angoisse, la maladie, mais aussi l’exclusion, les discriminations, la répression des libertés, la violence et, bien sûr, par ce qu’elle représente, partout dans le monde, d’aspiration à la beauté et à la créativité.