À nous de voir

On le dit, l’histoire s’accélère. C’est vrai à certains égards. Cinq mille ans séparent l’invention de l’écriture de celle de l’agriculture, quatre mille ans l’invention de la science moderne de celle de l’écriture, quatre cents ans Internet de Galilée. Nous fêtons cette année les vingt-cinq ans du Web (et les dix ans de Facebook) et nous nous étonnons de l’incroyable rapidité de l’évolution d’Internet au cours de ce quart de siècle. Mais vingt-cinq ans, c’est aussi le temps d’une génération. Or ce temps-là, lui, est incompressible. Et garde son mot à dire dans le cours de l’histoire. Vingt-cinq ans, c’est le temps qui sépare le début de la Révolution française de la chute de Napoléon. Le temps, aussi, qui sépare 1914 de 1939 : d’une guerre mondiale à une autre. Et, indépendamment d’Internet, le temps qui nous sépare de la chute du mur de Berlin. L’histoire s’accélère, mais un quart de siècle reste une durée à visage humain. Une durée rassurante, autorisant les prédictions. En 1998, l’économiste Paul Krugman, qui n’avait pas encore reçu le prix Nobel, annonçait : « La croissance d’Internet ralentira de façon drastique lorsqu’il sera clair que la plupart des gens n’ont rien à se dire. » Au même moment, Tim Berners-Lee, l’inventeur du Web, affirmait qu’Internet allait révolutionner la démocratie (en bien). Tant il est vrai que les plus grands esprits sont dépassés par l’évolution qui se déroule sous leurs yeux. Soyons réalistes, nous n’avons pas la moindre idée de ce que sera le Web dans vingt-cinq ans, ni même peut-être dans dix. Mais une chose est claire : si nous le voulons, il sera ce que nous en ferons. À nous de voir si nous souhaitons continuer de nous laisser intoxiquer par cette technologie et de n’en percevoir que les vertus, certes exaltantes, alors qu’elle fait à bas bruit de notre vie intime le fonds de commerce d’entreprises prédatrices et livre comme jamais l’individu aux pouvoirs d’investigation et de contrôle des États.  

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