« Intox »

Le mot grec toxicon désignait le poison pour flèches. « Intoxiquer » veut donc dire d’abord « empoisonner ». Son utilisation au sens moral du terme, qui désigne l’empoisonnement de l’esprit par la propagande, est d’usage en France depuis un siècle environ. L’abréviation « intox », qui ne désigne que ce sens dérivé, est apparu dans les années 1960. Les médicaments de l’esprit, ou psychotropes, forment un beau cas d’école pour explorer plus avant les deux sens du mot. Les neuroleptiques sont accusés, études scientifiques à l’appui,  d’intoxiquer le cerveau (et le corps) des malades.  C’est le cas aussi, dans une moindre mesure et sous d’autres formes, des antidépresseurs, des anxiolytiques et des psychostimulants. De plus, ces trois dernières catégories sont à l’origine de pratiques d’auto-intoxication, comme avec l’alcool. L’« intox », elle, désigne désormais l’effet de la propagande des laboratoires pharmaceutiques. Comme l’affaire du Mediator l’a fait découvrir à ceux qui ignoraient tout du sujet, l’efficacité des médicaments est souvent surestimée et leurs effets secondaires minorés,  les autorités médicales, les médecins et les patients se laissant prendre au piège d’un marketing sophistiqué et peu scrupuleux. Les psychotropes sont particulièrement entachés  par ce soupçon, parce que les maladies de l’esprit, contrairement à celles du corps, ne produisent pas de marqueurs biologiques et ne peuvent donner lieu qu’à des diagnostics subjectifs. Ainsi, la question de savoir si la plupart des antidépresseurs ne sont pas des placebos  reste scientifiquement ouverte. Pour couronner le tout, d’autres formes d’intoxication empoisonnent ces débats. Elles concernent l’esprit des spécialistes eux-mêmes, qui nourrissent la discussion. Jugements moraux et partis pris idéologiques plus ou moins cryptés font peser un doute sur la qualité des analyses  en apparence les plus rigoureuses. À la base de cette confusion,  un ballet de croyances d’autant plus ancrées, violentes même,  que celui qui en est porteur n’en a pas toujours conscience. Ce qui est ici en jeu, c’est l’auto-intoxication de l’esprit.  

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