Publié dans le magazine Books n° 71, décembre 2015.
En portant aux nues l’art rhétorique, le lycée français a placé l’ingéniosité au-dessus de la réflexion et l’artifice au-dessus de la réalité, devenue simple prétexte aux traits des beaux esprits. L’important, en France, est que l’on s’exprime avec élégance. Ce culte de la logique linguistique oublie ce que la connaissance doit à l’intuition, et trahit Descartes.
On reconnaît un Français moins à son apparence physique, à sa façon de s’habiller ou à sa langue qu’à quelque chose de beaucoup plus subtil : la façon qu’il a d’utiliser le langage, de penser, de discuter. C’est en cela que consiste précisément l’éducation dispensée dans ces centres de déformation intellectuelle que sont les fameux lycées français. Comme dans les alumnats de jésuites, quiconque a fréquenté une de leurs salles de cours ne pourra jamais se défaire de la terrible empreinte à laquelle on y soumet les élèves dès leur prime jeunesse. Le but de ces sinistres institutions est d’en finir avec la spontanéité, l’intuition, l’ingénuité et l’humour, avec la sainte ignorance qui est l’attribut naturel de cet âge tendre. L’objectif déclaré des éducateurs est d’en finir avec ce qu’ils appellent le chaos de la vie, en soumettant celle-ci aux règles du bon goût, fondées sur la raison. Émile Chartier [connu sous le pseudonyme d’Alain], le philosophe plus que médiocre qui guida intellectuellement l’éducation de nombreuses géné...