La faute à l’arbitre !

Un économiste et un journaliste sportif ont passé des centaines de matchs à la moulinette statistique. Conclusion : l’équipe qui joue à domicile a bien la partie plus facile, mais pas pour les raisons qu’on croit.

Certains clichés sportifs ont la vie dure : c’est la défense, et non l’attaque, qui fait gagner des titres ; telle ou telle équipe est maudite ; un joueur de basket qui vient de marquer plusieurs paniers d’affilée a toutes les chances de continuer car il a la « main chaude »… Cette « sagesse de café du commerce » amuse The Economist, mais Tobias Moskowitz, professeur d’économie comportementale à l’université de Chicago, et Jon Wertheim, journaliste à l’hebdomadaire Sports Illustrated, ont entrepris  de l’examiner scientifiquement. Leur ouvrage de « sportonomie » (contraction de « sport » et « économie ») s’inscrit dans la droite ligne de Freakonomics *, de Steven D. Levitt et Stephen J. Dubner, ce bestseller qui appliquait les outils de l’analyse économique à des sujets incongrus. Les biais cognitifs, qui poussent les individus à agir de façon apparemment irrationnelle, sont au cœur des travaux de Moskowitz et Wertheim : ainsi, l’« aversion de la perte », cette « tendance des individus à préférer éviter une perte plutôt que de réaliser un gain d’importance identique », toucherait le milieu sportif. Après avoir compilé des montagnes de données statistiques, du football au golf, en passant par le hockey, les auteurs l’assurent : l’idée que la défense prime systématiquement sur l’attaque est sans fondement ; les séries de tirs réussis des basketteurs s’expliquent par le jeu des probabilités, et non par la baraka ; et le fait que l’équipe de base-ball des Chicago Cubs n’ait pas remporté les World Series (le championnat américain) depuis plus d’un siècle n’a rien à voir avec une malédiction, mais plutôt avec un problème de motivation… D’autres conjectures sont en revanche accréditées, comme l’avantage du terrain. « En baseball, 54 % des matchs de la première division américaine sont remportés par l’équipe jouant à domicile, de même que 60 % des rencontres internationales de cricket et 63 % des matchs de Premier League de football en Angleterre », énumère The Economist. Est-ce à mettre au crédit des supporters qui galvanisent les joueurs ? Non, car les performances individuelles ne varient pas selon que les matchs se déroulent à domicile ou à l’extérieur. Et ni la fatigue du déplacement pour les visiteurs, ni la connaissance intime qu’a l’équipe hôte des aspérités de son terrain n’expliquent davantage le phénomène. Restent les arbitres. Les travaux de Moskowitz et Wertheim montrent que leurs décisions sont dans l’ensemble plus favorables à l’équipe qui reçoit. Ce phénomène n’est pas le résultat d’un vulgaire parti pris, mais d’une tendance tout à fait naturelle à « se laisser excessivement influencer par les avis extérieurs » (en l’occurrence, celui du public), explique The Economist. « Quand, il y a quelques années, vingt et un matchs du championnat de football italien se sont déroulés à huis clos après de violents débordements, le biais en faveur de l’équipe hôte a diminué de 23 % sur les fautes sifflées, de 26 % sur les cartons jaunes et – fait remarquable – de 70 % sur les cartons rouges », poursuit l’hebdomadaire. David Runciman n’est cependant pas convaincu par le raisonnement des auteurs : pourquoi, interroge-t-il dans la London Review of Books, avoir écarté certaines hypothèses susceptibles de relativiser le rôle des arbitres ? Par exemple : les encouragements du public n’affectent peut-être pas la performance individuelle. Mais n’ont-ils pas pour autant une influence sur le jeu collectif ? « Pour une raison ou une autre, avance Runciman, jouer à domicile améliore l’esprit d’équipe : les joueurs ont davantage confiance les uns dans les autres et fonctionnent mieux en tant que groupe. Je ne prétends pas que cette explication soit à coup sûr la bonne. Mais Moskowitz et Wertheim n’ont pas prouvé le contraire. »  

Notes

* Gallimard, coll. « Folio actuel », 2007.

LE LIVRE
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Prévoir le score de Tobias Moskowitz et Jon Wertheim, Crown, 2011

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