La tsarine du polar

Depuis plus de dix ans, Daria Dontsova règne sans partage sur un marché du livre russe en proie à la facilité.

Cette année encore, les chiffres de la Chambre du livre russe ont confirmé la suprématie de Daria Dontsova, auteur de « polars humoristiques » à succès. D’après les statistiques, elle est de loin l’écrivain qui bénéficie, toutes publications confondues, du plus gros tirage de l’année 2010, avec 5,5 millions d’exemplaires imprimés de son dernier roman, V posteli s King-Kongom (« Au lit avec King Kong »). Viennent en deuxième et troisième position deux autres auteurs de romans policiers, Ioulia Chilova et Arthur Conan Doyle.

Malgré les accusations de plagiat qui s’accumulent à mesure que la liste des œuvres s’allonge, Daria Dontsova doit son succès à un style très reconnaissable, où se mêlent enquête policière et éléments autobiographiques. On y retrouve, par exemple, des carlins, ces petits chiens au museau écrasé dont la romancière raffole. Le tout est agrémenté d’une attention tatillonne aux choses de la vie matérielle : prix et marques des vêtements, montants des additions des restaurants et estimations des biens immobiliers.

Selon Sergueï Roubis, l’éditeur de Dontsova, ces tirages impressionnants « reflètent la réalité du lectorat russe et de ses préférences », explique-t-il dans un entretien au quotidien Gazeta. « Tous ses livres trouvent bel et bien acheteur », se réjouit l’homme d’affaires, pour qui il convient de remettre en question les listes russes de bestsellers, établies à partir des grandes librairies moscovites et qui ne prennent en compte que des livres, comme ceux de Viktor Pelevine ou Ludmila Oulitskaïa, plébiscités par les habitants des métropoles, plus exigeants.

Interrogé par le même journal, le critique littéraire Alexandre Gavrilov interprète pour sa part le classement de la Chambre du livre russe comme le reflet des nouvelles habitudes de lecture de la population : la grande majorité préfère les livres médiocres et « ne souhaite pas se donner la peine de faire travailler son cerveau ». Une opinion que partage le psychologue Mark Sandomirski, pour qui la lecture facile « permet d’éviter de penser à des sujets graves, de se poser des questions, de faire face à ses propres contradictions ». Selon Dmitri Bykov, écrivain et critique littéraire réputé pour sa verve, ce sont là « les effets d’une politique culturelle » visant à « forger une nouvelle nation, plus malléable » : « Une nation qui se contenterait des livres de Dontsova, des shows télévisés et dont le but ultime serait de pouvoir faire ses courses chez Auchan une fois par semaine. »

LE LIVRE
LE LIVRE

Au lit avec King Kong de La tsarine du polar, Eksmo

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