La vertu sociale du potin
Publié le 15 avril 2016. Par La rédaction de Books.
Jaser, cancaner, commérer, potiner… Que de mots pour des conversations que personne n’est censé tenir. Parler de quelqu’un en son absence, ça ne se fait pas. Pourtant, tout le monde s’en donne à cœur joie, et pour cause ! Le ragot est fort utile, si l’on en croit les sociologues. C’est un formidable vecteur de lien social, qui stimule la productivité et l’intelligence, assure notamment l’Allemand Christian Schuldt dans son livre « Potins ! Des commérages de village aux ragots sur Internet ». Selon lui, partager des ragots est l’équivalent pour les humains de l’épouillage mutuel chez les singes. Les cancans quotidiens créent une intimité durable entre deux individus, et notamment au sein du couple. « Partager un secret fonctionne comme un délit de corruption avec deux malfaiteurs : celui qui corrompt et celui qui se laisse corrompre », écrit Schuldt. Et les deux en tirent avantage : celui qui dévoile le secret augmente son prestige ; celui qui le reçoit acquiert une information qui peut se révéler précieuse. Par les ragots, les membres d’un groupe apprennent en effet quels comportements y sont valorisés, ou pas. Ils deviennent ainsi plus « intelligents » socialement. Schuldt insiste même : les entreprises dont les salariés échangent de nombreux potins possèdent un esprit d’équipe plus développé.
Le commérage participe au maintien de la cohésion du groupe à travers son influence sur la réputation des personnes, avait déjà relevé Norbert Elias. Dans les années 1950, il constate, en étudiant les faubourgs d’une ville industrielle britannique, qu’« une communauté soudée a besoin d’un abondant flux de potins pour faire tourner ses rouages ». Il découvre, surtout, que la forme et les contenus du commérage varient selon les sociétés. « Plus un groupe est fortement intégré, plus il se livre à cœur joie au commérage, et dans son cas, le commérage renforce la cohésion préexistante », écrit-il. Dans une communauté moins soudée, l’effet « potins » n’existe pas. On n’épouille bien que les singes dont on est proche.