L’art de la contrition

La scène est presque banale aux États-Unis : un homme politique (gouverneur, sénateur ou même président) vient se repentir à la télévision de son implication dans un scandale sexuel pour lequel il demande pardon à sa famille, à l’Amérique et à Dieu. Après quoi certains restent en place et continuent leur bonhomme de chemin dans la vie publique, quand d’autres doivent tirer un trait sur leur carrière – que l’on songe au cas récent d’Anthony Weiner, obligé de renoncer à son mandat de représentant après avoir échangé des photos osées avec des jeunes femmes. À quoi peut donc bien tenir la disgrâce ou l’absolution de ces hommes ?

La scène est presque banale aux États-Unis : un homme politique (gouverneur, sénateur ou même président) vient se repentir à la télévision de son implication dans un scandale sexuel pour lequel il demande pardon à sa famille, à l’Amérique et à Dieu. Après quoi certains restent en place et continuent leur bonhomme de chemin dans la vie publique, quand d’autres doivent tirer un trait sur leur carrière – que l’on songe au cas récent d’Anthony Weiner, obligé de renoncer à son mandat de représentant après avoir échangé des photos osées avec des jeunes femmes (lire aussi p. 48). À quoi peut donc bien tenir la disgrâce ou l’absolution de ces hommes ? À la qualité de leur prestation devant les médias, affirme l’historienne Susan Wise Bauer, qui a consacré un livre au sujet. « Ceux qui survivent au scandale sont ceux qui ont excellé dans l’art de la confession publique », rapporte Laura Miller, du site Salon.

Bauer remarque que les Américains ont, ces dernières décennies, « de plus en plus souvent exigé de leurs dirigeants qu’ils avouent leurs péchés ». Pour elle, « les racines du phénomène sont à rechercher dans les rites du christianisme évangélique, notamment la pratique consistant à venir expier ses fautes devant les fidèles assemblés en demandant humblement pardon à Dieu », explique Miller. Bauer estime que l’on touche là un  élément fondamental de la démocratie américaine : ses liens avec le protestantisme. « Non que le système soit d’essence évangélique, précise Susan Bordo dans la Chronicle of Higher Education, mais l’esprit antihiérarchique de cette religion, qui considère joyeusement que “tout le monde peut être sauvé” trouve sa parfaite traduction dans les rites de la vie publique du pays. » Qu’il se tienne au sein d’une congrégation ou devant le pays tout entier, le spectacle de la confession trahit en somme une aspiration profonde à l’égalité : « Nous idolâtrons nos dirigeants autant que nous les détestons, écrit Bauer. Nous souhaitons nous soumettre, mais seulement après nous être assurés que la personne à laquelle nous nous soumettons n’est pas meilleure que nous. Derrière l’exigence de voir les dirigeants avouer leurs péchés se cache notre peur d’être submergés par leur pouvoir. »

Dans ce contexte, il importe que l’homme politique sur la sellette maîtrise parfaitement « le jargon et l’iconographie de son scandale », souligne Miller. Bill Clinton (élevé dans la foi baptiste) a semble-t-il offert un modèle du genre : embourbé dans l’affaire Lewinski, il a changé de stratégie en « faisant acte de contrition devant une assemblée de ministres du culte réunis lors d’un petit déjeuner œcuménique à la Maison-Blanche, relate Miller. Face à eux, il a reconnu : “J’ai péché.” L’un des religieux présents a ensuite décrit un homme “dont le cœur s’est ouvert et qui a reconnu sa faute”. Entendre cela de la bouche d’un homme pieux (plutôt que d’un avocat) a convaincu de nombreux Américains de la sincérité de Clinton ».

LE LIVRE
LE LIVRE

L’art de s’aplatir en public de Susan Wise Bauer, Princeton University Press

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