L’athéisme expliqué aux Polonais

Après Gottland, le Polonais Mariusz Szczygieł caracole à nouveau en tête des ventes de son pays avec un essai opposant l’athéisme des Tchèques à la ferveur catholique de ses compatriotes.

«Quand j’ai senti la foi me quitter, il y a quelques années, j’ai eu un peu peur, confie l’écrivain polonais Mariusz Szczygieł à propos de son dernier livre. Je ne savais pas où j’allais trouver du soutien et j’ai commencé à demander à mes amis tchèques comment ils faisaient pour vivre sans Dieu. »

Pourquoi ses amis tchèques ? Non parce que l’auteur du très remarqué Gottland, traduit en français chez Actes Sud, s’est entiché voilà plusieurs années de leur culture. Mais parce que ces derniers, qui se targuent d’appartenir à la nation la plus athée d’Europe, semblaient les mieux placés pour l’éclairer.

« Pour les Tchèques, être incroyant, c’est comme être brun ou blond. Vous naissez comme ça, tout simplement », s’amuse Szczygieł. Un phénomène incompréhensible pour les Polonais, qu’il décrit comme des « esclaves de la tradition catholique », allant à l’église et baptisant leurs enfants parce que la société les y contraint. « La République tchèque est pour nous un pays exotique et familier à la fois, analyse le site polonais Culture.pl. La mentalité du pays est une source d’immense étonnement, d’envie, d’admiration et, ne nous y trompons pas, de terreur. »

Premier choc, éprouvé par tous ceux qui commentent le livre : une conception de la mort assez profane. Les funérailles sont rares en Bohême. « Les Tchèques ne pensent pas que la façon de dire au revoir au corps du défunt ait un impact sur son existence future, explique le site Culture.pl. Même les croyants ne le pensent pas. Rien ne sert d’organiser des obsèques, puisque aucune pression sociale n’incite à le faire. Un trou dans le sol suffit, et cela coûte beaucoup moins cher. » Évidemment, personne ne porte le deuil. Un tiers des urnes funéraires ne sont même pas réclamées.

Les Tchèques ne respecteraient-ils donc rien ? s’interroge la presse polonaise. L’hypothèse de Szczygieł est autre : pendant que les Polonais vivent profondément les tragédies, leurs voisins préfèrent les mettre à distance et en rire. « Les Polonais ont besoin du malheur. Comme si les catastrophes les rendaient meilleurs », affirme l’écrivain dans l’hebdomadaire Týden. Témoin leur attitude après la catastrophe de Smolensk où le président Lech Kaczy´nski trouva la mort. « Je ne sais pas comment les Tchèques auraient réagi, mais ils n’auraient certainement pas fait la queue pendant dix-huit heures pour se recueillir devant un cercueil », estime-t-il. Et de décrire par contraste le mémorial érigé à Prague en l’honneur des auteurs de l’attentat contre Heydrich en 1942 : dans la crypte de l’église où ils ont été exécutés par les nazis, point de célébration solennelle ni dramatique. Mais, sur la plaque, au milieu des couronnes de fleurs, un ultime pied de nez : « Heydrich, tête de nœud ».

« Ce livre plein d’audace, note le journal en ligne A2, comporte pourtant quelques stéréotypes sur les Tchèques, quand il les présente comme des êtres pragmatiques, se satisfaisant de leur petit confort avec le rire pour unique moyen de se mettre en règle avec le destin. » D’où, d’ailleurs, le titre de l’essai : selon Mariusz Szczygieł, les Tchèques se fabriquent leur propre paradis sur terre, parce qu’ils n’ont qu’une vie, dont il s’agit de profiter au maximum. Les Polonais eux, partagés entre leur existence terrestre et la vie éternelle, continuent de penser qu’ils devront attendre le ciel pour s’amuser.

LE LIVRE
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Faites-vous votre paradis de L’athéisme expliqué aux Polonais, Wydawnictvo Czarne

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