La citation, précieux butin du lecteur

De tous les types de collection, la collection de citations est probablement la moins coûteuse, la moins encombrante et peut-être la plus utile. Les citations ne prennent pas la poussière, ne craignent pas le cambriolage, n’ennuient pas les invités. On peut les stocker partout : sur le Cloud, sur des cartes à jouer (comme Rousseau), sur des poutres (comme Montaigne), voire se les faire tatouer sur la peau. Elles ont bien quelques détracteurs, tels Paul Morand dans son Journal intime (« Les citations sont des béquilles ») ou Schopenhauer (« Par des citations, on affiche son érudition, on sacrifie son originalité »). Mais, en général, elles sont très appréciées, et pas seulement des cuistres. « Je ne les considère pas seulement pour l’usage que j’en fais : elles portent souvent, hors de mon propos, la semence d’une matière plus riche et plus hardie », écrivait Montaigne, un accro de la citation s’il en fut (1). Comme tout le reste, le phénomène subit évidemment les effets de la « mise en ligne du monde » (Alain Finkielkraut). Cela veut dire que tout un chacun peut trouver sur Wikiquotes des citations ad hoc, en fonction de ses besoins. Attention ! Tricherie ! La vraie citation, c’est celle qui procède « d’une lecture créative, comme il y a une écriture créative » (R. W. Emerson). Plus précisément, c’est celle qu’a lui-même recueillie, crayon à la main, « le flâneur raffiné des jardins du savoir » (Nietzsche), séduit par l’expression concise et frappante d’une pensée « surgie brusquement comme ces brigands des chemins, afin de dépouiller le lecteur de ses convictions » (Jacques Derrida citant Theodor Adorno citant Walter Benjamin). Cette citation-là est comme le goûteux champignon découvert après une longue marche dans les sous-bois, et non son insipide équivalent, vendu en barquette. L’ère numérique n’a pas que des inconvénients. Le livre électronique permet ainsi de surligner les phrases plaisantes, de les stocker et de les retrouver très commodément. On ne sera jamais à court de citations, d’autant que la littérature en fournit chaque jour de nouvelles. Et en cas de besoin, on peut toujours faire comme Hervé Bazin dans son Abécédaire : « Citations. Comme les proverbes, j’en invente ; et jusqu’ici personne ne semble s’en être aperçu. »    

Notes

1| Essais,  I, 40.

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