Toujours cool, les réseaux sociaux ?

Les gens ne lisent plus, dit-on. Peut-être, mais qu’est-ce qu’ils écrivent ! Des milliards de mots sont pianotés chaque jour sur les claviers, et un être humain sur quatre s’exprime sur un réseau social. L’homme n’a jamais mieux mérité le label d’« animal social » : il communique désormais tous azimuts, en toutes les langues, à toute heure du jour, sur tout et n’importe quoi. Il communique, oui, mais que valent tous ces échanges ? Trouverait-on sur Facebook l’équivalent d’un Cicéron, dont le millier de lettres a suscité jadis une « conversation » de bien haute volée entre les meilleurs esprits de son temps ? On peut toujours l’espérer… Sur le plan affectif, en revanche, les limites de la communication via les réseaux sociaux sont bien connues. La multiplication des accointances digitales n’a rien à voir avec les formes aristotéliciennes de l’amitié. Et même Google préconise de n’inclure dans ses « cercles d’amis », un réseau plus select, que des « amis véritables, avec lesquels on peut partager des informations privées ». Les relations via le Net ne semblent procurer ni réconfort ni même protection contre la solitude. Si quelques études concluent à une corrélation entre l’activité plus ou moins grande d’un individu sur les réseaux et l’opulence de son « capital social », elles sont plus nombreuses à témoigner du développement, depuis les années 1950, de la solitude (de quelque façon qu’on la mesure) et de sa nocivité morale comme physique (les cellules de personnes souffrant de solitude souffrent elles aussi) (lire « Les nouvelles solitudes », Books, octobre 2012). Ce qui permet d’évoquer, en vrac, le fameux « paradoxe Internet » (« Plus on communique, plus on est seul et déprimé »), ou la « fin de la conversation » (d’après la sociologue Sherry Turkle (1)), voire, comme l’écrivain canadien Stephen Marche, l’imminence d’une « désintégration sociale ». Une triste allégorie qui exprime ce triste état de choses : la fin tragique d’Yvette Vickers, une ancienne « playmate » californienne, retrouvée – des mois après son décès – effondrée sur son ordinateur allumé. C’est surtout Facebook qui fait les frais de ce procès en pseudo-communication. Car, semble-t-il, ce que l’on échange en priorité sur ce réseau social-là, ce sont des écrits ou des images qui tendent à proclamer : « Moi je suis heureux – Et vous ? » Et nous, victimes également de l’« impérieuse nécessité d’être heureux » que postulait André Gide, nous ne pouvons bien souvent répondre que par le dépit, la frustration, la jalousie, la dépression... D’ailleurs, toutes ces proclamations triomphantes sont-elles bien crédibles ? On sait qu’on fait dire aux mots ce que l’on veut. C’est peut-être la raison pour laquelle les photos, moins faciles à truquer, prennent désormais le pas sur les écrits : 350 millions de nouvelles images sont postées chaque jour sur Facebook, et 750 millions le lundi ! Le réseau semble avoir rejoint le pré carré menacé de l’écrit : les très jeunes Américains paraissent aujourd’hui lui préférer Instagram et autres Flickr, où les photos règnent. Facebook sera-t-il la prochaine victime de la déroute présumée du mot écrit face à l’image ?    

Notes

1| Alone Together: Why We Expect More from Technology and Less from Each Other (« Seuls ensemble : pourquoi l’on attend plus de la technologie et moins les uns des autres »), Basic Books, 2010.

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