Le clochard céleste revient
Publié dans le magazine Books n° 26, octobre 2011.
Grand explorateur des tréfonds de la société américaine, William Vollmann entraîne cette fois le lecteur dans une errance ferroviaire en compagnie des hobos, les fameux clochards du rail.
Avec presque un livre par an depuis vingt ans, William Vollmann occupe une place singulière dans les lettres américaines. Il s’est fait une spécialité du sordide, « dont il est un observateur fanatique », selon J.R. Moehringer du New York Times : il a plongé tour à tour dans l’univers glauquissime des prostituées de Phnom Penh, des drogués de New York, des moudjahidines afghans, des malfrats de tout poil, pour en rapporter à chaque fois un bestseller, entre roman-fleuve et reportage au long cours. Tous les critiques ne sont pas enthousiastes, reconnaît Jed Lipinsky dans The Brooklyn Rail : « Certains, même s’ils reconnaissent le talent de Vollmann, l’ont étiqueté “mauvais garçon”, “chien fou”, “monstre”, même, et l’accusent d’aventurisme suicidaire et de fascination fétichiste pour les êtres en perdition, dont la description flatte les goûts bourgeois d’un lectorat de jeunes voyeurs branchés. » Mais presque tous saluent la puissance de sa voix et la vigueur de son style.
Dans son dernier ouvrage – bien plus court que les pavés des années précédentes et agrémenté de nombreuses photographies –, il promène son regard presque désespéré sur l’Amérique d’aujourd’hui, qu’il a sillonnée à bord des trains de marchandises, en passager clandestin. Bravant le danger (il faut parfois descendre en marche), il a parcouru des milliers de miles avec un peu de nourriture et un seau en plastique orange pour ses besoins, en compagnie des hobos, ces clochards du rail dont c’est là le mode de vie devenu légendaire.
Il ne semble pas pour autant s’être réconcilié avec sa mère patrie et son époque : les cartes de crédit, la boulangerie industrielle, « ce tortionnaire de G.W. Bush » et les agents de sécurité dans les aéroports sont régulièrement voués aux gémonies. Il n’a pas non plus atteint ni même identifié la « Cold Mountain », destination mythique que Moehringer définit comme une sorte de « nirvana américain, de paradis évanoui de liberté virile et individuelle ». À vrai dire, il a fait mieux : « Il a inventé un genre littéraire complètement nouveau : le clochardisme transcendantal », selon Steve Almond du Boston Globe. C’est-à-dire, pour Jed Lipinsky, « quelque chose qui mêle confession, récit de voyage, journalisme d’investigation et Mémoires », et qui se situe, quoi qu’il s’en défende, « dans le droit fil de ses héros littéraires : Thoreau, Kerouac, Hemingway, London, Wolfe et Twain ».