Le corbeau

Le corbeau n’écrit pas toujours des lettres anonymes. Il lui arrive même de prendre le téléphone, comme dans le poème de Jacques Roubaud :
-allô le boa ?
allô le boa ?
-no. Mahaut, la corbeau
-allô, pas boa ?
-no, no croa croa
-quoa ?
-no no pas boa croa croa croa mao la corbo.
Comme quoa, le corbeau n’est pas non plus toujours masculin (1).
Le corbeau n’est pas non plus toujours méchant, ni bête. Les Indiens de la côte nord-ouest de l’Amérique du Nord voyaient dans cet oiseau le créateur du monde où nous vivons, nous les humains. Pour d’autres Indiens d’une région voisine, c’est au corbeau que nous devons d’avoir la lumière du jour, l’eau et  l’usage du feu. En portant le feu du ciel, le corbeau s’est brûlé les ailes  qui, de blanches sont devenues noires.  Dans la Bible, le prophète Elie est nourri par des corbeaux dans le désert. Selon la mythologie germanique, Odin est flanqué de deux corbeaux, Hugin et Munin, incarnant rien moins que la pensée et la mémoire.
C’est qu’il est fort intelligent, l’animal. Dans une expérience récente, des chercheurs arborant un masque d’homme des cavernes se sont fait méchamment attaquer par ces volatiles. Ayant troqué cet accoutrement pour un masque  de Dick Cheney, il passèrent incognito. Le corbeau est capable de jeter des petits cailloux dans un vase jusqu’à faire monter le niveau de l’eau pour se désaltérer. Selon certains observateurs, le corbeau croit peut-être même en un au-delà. Dans un ouvrage récent, la naturaliste Lyanda Lynn Haupt décrit des « funérailles de corbeau », où l’on voit les oiseaux s’assembler en silence autour du cadavre d’un de leurs congénères (2).
Ce qui nous ramène peut être aux lettres anonymes. Pourquoi celui qui envoie des lettres anonymes est-il appelé le corbeau ? L’usage remonterait au  film de Clouzot, Le Corbeau, sorti en l’an de grâce 1943. Le film était fondé sur une sinistre affaire de lettres anonymes survenue dans la bonne ville de Tulle entre 1917 et 1922 (3).
Mais Clouzot a-t-il réellement introduit l’usage populaire du mot, ou est-ce plus ancien ?  C’est bien possible. Au Moyen-Age, les corbeaux étaient les hommes chargés d’enlever les pestiférés pour les porter à l’hôpital ou les enterrer. Le corbeau en est venu à désigner le croque-mort. Mais aussi la potence. Puis le prêtre  - celui qui vient donner les derniers sacrements - en raison de ses vêtements noirs. Enfin, selon un Larousse d’avant la Première guerre mondiale : « se dit en général des personnes à l’encontre desquelles une superstition ridicule attribue parfois, dans le bas peuple, l’influence de porter malheur ».





(1) Marcel Benabou et Pascal Fournet, Anthologie de l’OuLiPo, 907 p., Gallimard, 2009.
(2)Crow Planet, Little, Brown&Company, 2009.
(3) Jean-Yves Le Naour, Le corbeau : histoire d’une rumeur, Hachette 2006.

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