Le fou de Dieu

Quelle aubaine pour l’effervescente psychiatrie du tout début du XXe siècle : un fou, un vrai, qui laisse une description en presque 500 pages du tumulte dont son malheureux cerveau a été la proie pendant neuf ans, entre 1893 et 1902. Comme le malade, nommé Schreber, est non seulement allemand mais magistrat (et des plus respectés), son rapport est précis et circonstancié – ce qui est bien le moins, vu son objet : expliquer que, loin d’être fou, il est porteur d’une révélation. Dieu – scindé en deux entités (un dieu inférieur, Ahriman, plutôt spécialisé dans « les populations brunes » ; et un dieu supérieur, Ormuzd, réservé aux peuples blonds) – Dieu, donc, s’est retiré du monde et a perdu le contact avec l’humanité. Et c’est à Schreber qu’il incombe de le remettre en selle, sur les injonctions communiquées par des « oiseaux nocturnes issus des vestibules du ciel ». Mettant à profit ses exceptionnelles connexions nerveuses avec le divin, le magistrat se propose de devenir femme « par émasculation » afin d’engendrer, dans l’exercice d’une volupté « pieuse », une humanité régénérée. À peine paru, en 1903, le document a enflammé les ...