Le pouvoir des mots

Qu’est-ce qu’un discours politique ? De la parole en acte, pour reprendre les mots d’Augustin. Une manière d’exercer le pouvoir des mots sur une foule, une opinion, une situation. Et pour m’en faire une idée concrète, j’ai voulu me plonger ce week-end dans la somme que constitue le livre, paru aux éditions André Versailles, de trois universitaires belges qui ont consacré dix ans de leur vie à concocter Les 100 discours qui ont marque le XXe siècle. Comment faire cette sélection ? Je l’ignore car il y a bien plus de cent discours qui ont façonné le siècle. Mais le plus important n’est pas la confection d’un palmarès – quelque légitime qu’il puisse être. Peu importe si, par exemple, manquent dans ce florilège tel ou tel discours de Jean Paul II, de Brejnev, de Johnson, de Kohl ou de Mitterrand. Choisir, c’est toujours exclure. La réussite de ce parcours dans ce que la rhétorique a identifié comme l’éloquence de tribune, éloquence délibérative, ce sont les introductions, précises et documentées, de chacune de ces diverses interventions politiques. C’est tout simplement limpide. Le discours du 27 décembre 1920 à Tours de Léon Blum est contextualisé de telle manière que l’on comprend l’extrême tension à laquelle cet homme, seul ou quasi seul à défendre une position modérée, est soumis dans une salle qu’on imagine bondée et enfumée (on avait encore le droit de fumer dans les salles publiques à l’époque). A lire la notice qui commente le discours, on comprend quelle détermination il a fallu à Blum pour tenir devant une salle si majoritairement hostile à son propos. Il poursuit toutefois sans vaciller son propos, insistant sur la relativisation de l’expérience révolutionnaire russe devant ceux là même qui la considèrent comme la référence. Sa réflexion apparaît, rétrospectivement, comme une véritable prescience de ce qu’allait devenir le communisme, cette dictature du prolétariat qui, de nécessité provisoire, se transforme alors, en Union soviétique, en système ordinaire du pouvoir, n’ambitionnant rien d’autre que sa propre conservation. Le discours du Mahatma Gandhi, en 1922, dans un prétoire de l’empire britannique, témoigne du génie de l’avocat indien. Discours éclatant de l’inculpé qui réclame contre toute attente la condamnation la plus sévère pour lui même afin de mieux faire apparaître l’absurdité et l’arbitraire de la loi britannique selon laquelle l expression de la simple "désaffection" est passible de prison. La visite en 2000 de Jean Paul II au mémorial Yad Vashem en Israël est l’occasion de revenir sur les relations tumultueuses et complexes que la chrétienté, depuis le Ve siècle, entretient avec les juifs, en passant par tous les moments déterminants de cette relation, y compris l’épisode dramatiquement silencieux de la seconde guerre mondiale. On y voit un Jean Paul II volontariste du dialogue interconfessionnel demander pardon sur fond des contradictions propres aux communautés arabes chrétiennes du moyen orient.  « Ich bin ein Berliner », « the new frontier », deux discours vedettes de l’Amérique triomphante des années soixante, font l’objet d’un éclairage qui permet de resituer, et de revenir sur la figure d’un JFK que sa fin tragique a contribué à surdimensionner. On n’en finirait pas - Churchill, Mao, Castro, Peron...ce tour du monde du « pouvoir des mots » se lit comme un livre d’histoire, encapsulé dans la petite dramaturgie de ces quelques minutes de paroles qui changent le monde.

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