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Le premier capitaine


Les Bleus font leurs premiers pas dans la Coupe du Monde de Football 2018 ce week-end derrière leur capitaine Hugo Lloris. Il y a 80 ans, c’est un Belfortain que les « tricolores » suivaient. Etienne Mattler a joué les trois premières Coupe du Monde (1930, 1934 et 1938) et porté le brassard de capitaine à quatorze reprises. En janvier 1939, Le Petit Parisien lui dédie un feuilleton relatant toute sa carrière, de ses dernières victoires (le 24 janvier), à ses premiers pas internationaux (le 27 janvier) et à son avenir (le 31 janvier). Le journaliste Mario Brun le taxe alors de « lion superbe et généreux », qualificatif qu’il ne fera pas mentir pendant la guerre en s’engageant dans la Résistance et en échappant à la Gestapo.

Le 24 janvier. Premier épisode.

Le 4 décembre dernier, au soir de ce match mémorable au cours duquel déchaîné, galvanisé, comme jamais il ne le fut par cette ambiance hostile qui en abattaient d’autres, il avait jugulé le redoutable Piola, il me confiait :

– Ce qui me ferait bien plaisir maintenant, vois-tu, c’est d’être au moins encore une fois international.

Il comptait alors quarante et une sélections. Autant que le glorieux Dewaquez. Autant que le populaire Delfour. Encore une et il aurait le record à lui tout seul et il ne lui resterait plus grand chose à ajouter à une carrière déjà si riche et si belle. Dimanche, après le match contre la Pologne, dans les vestiaires, alors qu’il refaisait lu nœud de sa cravate et plaisantait à son habitude, souriant, frais comme un tout jeune athlète que l’effort ne marque pas, je le félicitais de sa quarante-deuxième sélection. Mais déjà il avait oublié qu’elle eût pu être récemment une de ses grandes ambitions.

– J’espère bien que ce n’est pas la dernière ! s’exclama-t-il.

Il a trente-deux ans bien sonnés. Mais le passé ne compte pas encore pour lui. Il ne pense qu’à l’avenir. Quand un match est terminé, il n’en parle plus. Il évoque le prochain. Après Italie-France, il disait:

– Dimanche nous recevons Sète.  Un dur morceau !

Sa vitalité est telle qu’il ne se fait pas à l’idée de prendre un jour ses invalides.

Avec quelle ardeur ne combattit-il pas pour conserver la jeunesse du cœur et des muscles ! La même ardeur qu’il jette dans les plus dures batailles du ground. Lion de Sochaux, lion des champs de jeu, il était indiqué qu’on le qualifiât, comme Hernani de « superbe et généreux ». II a été quarante-deux fois international en football. Il eût pu connaître, la même carrière en rugby ou en boxe ou en athlétisme ou encore  en cyclisme. Seul le destin a voulu que ce fut en frappant dans une balle ronde.

Car il avait les dons qui forcent le succès dans n’importe quelle branche de l’activité physique. Sans le sport, il eût frappé sur l’enclume comme un Vulcain. Pourtant, à l’en croire, quand vers l’âge de douze ans il commença à faire de la culture physique, il était malingre, chétif, ce Belfortain  qui aujourd’hui mesure 1 m. 80 et pèse 85 kilos ! Agrès et barres parallèles ne tardent pas à le développer. Bientôt il a le gabarit d’un solide gaillard et il se met à « tâter » un peu à tout, au sein de l’U.S. Belfort. Il joue au football, mais il met aussi les gants de boxe, frappe dans le sac de sable, apprend à encaisser les coups. Aujourd’hui on peut bien dire qu’il ne redoute plus rien et ne craint pas la douleur. Rappelez-vous le dernier France-Italie au Parc :  dès le début, il a la cheville foulée, mais il tient sa place durant tout le match et, le dimanche suivant, quand il apprend la défaite de son club en Coupe devant Montpellier, il pleure parce qu’il n’a pas pu jouer. (A suivre.)

 

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27 janvier. Quatrième épisode : « Il gagne ses galons en Argentine »


Ce fut un bien beau voyage que celui qui mena l’équipe de France de Villefranche-sur-Mer à Montevideo, avec escales à Lisbonne, Rio-de-Janeiro et Santos. Il a été maintes fois raconté par tous ceux qui firent partie de la délégation française. Pour Mattler, comme pour eux tous, il devait être riche en souvenirs que l’on n’oublie pas dans une carrière. Les « tricolores » firent route avec les Yougoslaves, les Roumains, les Belges. A Rio, les Brésiliens se joignirent à eux. L’arrivée à Montevideo fut triomphale. Les quais étaient noirs de monde. Quelle formidable ovation de cris, de musique et de sirènes ! Le nom de la France fut célébré dans in magnifique brouhahaha. Une multitude de sportifs escortèrent l’équipe de France à son hôtel et on s’ingénia à lui rendre le séjour agréable en mettant à disposition voitures, interprètes, terrains d’entraînement, courts de tennis, toutes commodités. Bien mieux, on lui réserva la surprise d’un cuisinier français, attention délicate qui rendit plus sensible encore cette sympathique hospitalité.

C’est par un froid sibérien, après une abondante chute de neige, que les « tricolores » disputèrent leur premier match de la Coupe du Monde. Et pourtant c’était la 13 juillet ! Un été glacial en vérité ! Encore faut-il préciser qu’en Uruguay l’été ne se situe pas tout à fait à la même époque que chez nous. La partie se déroula au stade du Penarol et fut l’occasion d’une nette victoire, par 4 à 1, de nos représentants opposés au Mexique. Maschinot, camarade de club de Mattler, marqua deux buts superbes, les deux autres étant l’œuvre de L. Laurent et  Langiller.

L’équipe de France avait la composition suivante : Thépot; Mattler, Capelle, Villaplane, Pinel. Chantrel ;  Libérati ; Delfour,  Maschinot,  L. Laurent et Langiller.

Deux jours plus tard, la France se trouvait en présence de l’Argentine. Un dur morceau ! Les  « criollos », rivaux de toujours des Uruguyens, étaient, en effet, parmi les grands favoris du tournoi.

On ne donnait pas cher des chances de l’équipe tricolore et, pourtant elle faillit bien au cours  de ce match émouvant, causer une surprise sensationnelle. Aujourd’hui  encore, en Amérique du Sud, on évoque cette rencontre poignante dont Thépot fut le grand héros et au cours de laquelle les Français, réduits pour ainsi dire à neuf dès le début (Laurent et Maschinot ayant été blessés) surent résister pendant quatre-vingts minutes aux assauts continuels des footballeurs de Buenos-Aires.

Tout le public fut, bien entendu, pour nos vaillants représentants qui ne s’inclinèrent que tout à la fin, à la 81e minute. Monti, qui devait devenir la demi-centre de la Juventus de Turin et de l’équipe d’Italie, marqua l’unique but de la partie sur coup franc.

Ah ! L’héroïque défense de l’équipe de France. Au coup de sifflet final, la foule envahit le ground du stade du Centenaire pour porter Pinel et Thépot en triomphe, cependant que les Argentins s’en allaient tête basse comme des vaincus.

Ce fut ce jour-là que Guillermo Stabile, à l’issue du match, apprit que dorénavant il serait l’avant-centre de l’équipe d’Argentine.

Le 19 juillet, pour leur dernier match, les « tricolores » fatigués par les rudes efforts fournis, firent moins bonne impression et durent s’incliner par 1 à 0 devant le Chili.

Néanmoins, ils pouvaient regagner l’Europe la tête haute. Ils avaient fait bien mieux qu’on n’escomptait. Quant au gars Etienne — vous pensez s’il été la fête!­— il avait définitivement gagné sa place dans l’équipe nationale et s’était fort bien habitué à son poste d’arrière droit.

Sur le chemin du retour, un petit match officieux, à Rio, en nocturne, dans le cadre féérique du stade du Fluminense, permit encore aux Français de résister plus qu’honorablement aux Brésiliens puisque, après avoir mené par 2 à 0, ils ne s’avouèrent battus que par 3 à 2.

(A suivre.)

 

31 janvier, dernier épisode.


Je connais peu de sportifs qui aient, comme Mattler, une telle conscience, un si bel amour de son sport et de son club. Au reste, il est au stade somme dans la vie : travailleur, dur à la tâche, enthousiaste et simple.

Il est plus qu’un exemple à citer, il est un symbole. Car ils ne sont pas nombreux qui, comme lui, ont mérité la belle carrière que les lecteurs du Petit Parisien viennent de lire et qu’on ne saurait considérer comme terminée. Mattler, tous les jours, tous les ans, en recule la fin avec un bon sourire.

« J’ai encore quelques belles années devant moi », aime-t-il à déclarer. « Je ne me suis jamais senti aussi bien », dira-t-il aussi. Je ne me fais pas à l’idée d’être obligé  un jour de laisser ça là », explique-t-il parfois avec l’assurance gouailleuse de ceux qui débutent et se sentent forts.

Dans son genre, il est de ceux qui croient à l’éternité. Parce que plus qu’aucun autre il a la foi et sait se soumettre, en fervent pratiquant, aux commandements de la belle religion sportive.

Il y a deux saisons, au soir de la victoire de Sochaux en Coupe, il confessait : « Ce succès m’a rajeuni et j’ai résigné un bail avec le football. »

Depuis, il a gagné une nouvelle fois le championnat de France, il a battu le record de la sélection. Que lui reste-t-il à désirer ? Jouer le plus longtemps possible et, surtout, réaliser, avec Sochaux le beau coup double du Racing et de Sète : enlever, la même saison, Coupe et championnat.

Ah certes, c’est un « dur ». C’est un dur, dans le meilleur sens du terme. Un « dur à cuire ». Un dur au choc. Un solide au poste. Et non pas, comme on lui en a fait longtemps l’injuste réputation, un joueur dur. Il n’a jamais blessé personne, si ce n’est par mégarde comme il peut toujours arriver dans un sport où entrent en ligne de compte la force pure et aussi la malchance. Il frappe fort, sans pitié, mais il vise toujours la balle. Il serait navré de faire mal à une mouche. Son coup d’épaule est solide. Il envoie bouler l’adversaire. Mais peut-on lui reprocher d’être irrégulier ?

Il est fort tout bonnement, et se sert de sa force, et il se trouve à la fête quand l’adversaire est de sa taille, comme Piola ou Drake. Tout au long du dernier France-Angleterre, Etienne avait chargé le fameux « tank » d’Arsenal sans ménagement. L’autre n’avait jamais protesté ; tout simplement il avait chargé lui aussi avec la même vigueur. Aux vestiaires. Drake vint serrer la main de Mattler. «J’aime un type comme ça ! », explique le Sochalien.

Il est dur au mal. On le sait J’ai raconté l’histoire de sa cheville foulée, lors du France-Italie qui se déroula la saison dernière au Parc des Princes. Il y a aussi l’histoire de ses deux dents cassées lors du France-Espagne du 2 avril 1933. L’arbitre arrête la partie et s’approche de Mattler qui crache le sang et l’invite à aller se faire soigner.

– Ce n’est rien, monsieur l’arbitre !

Et il a continué à jouer comme si de rien n’était. Un gars bien sympathique. Un Mattler dans une équipe c’est un concours moral inestimable. Jamais il ne cède au découragement. Quel caractère en or ! Quel bon camarade ! Toujours enjoué, aimant bien la blague. Quand on lui rappelle comment de la main, en 1935 à Rome, il sauva un but tout à fait sans que l’arbitre ait rien vu, il rit tout le premier et répond :

–̃ C’était si peu de chose

Si sur un terrain, on le voit parfois inquiet, c’est à coup sûr, qu’il fait mauvais temps. Ne croyez pas qu’il redoute pour lui-même l’intempérie. Non, mais il la redoute pour son petit jardin de Belfort auquel il apporte tant de soins, à ses heures de loisirs. Il pense alors à ses arbres et à ses fleurs. Économe, prévoyant, il a su peu à peu créer son foyer, acquérir une maison et une auto. En plus du football, il fait de la représentation. Le reste du temps, il cultive son jardin comme l’a recommandé le sage Candide et comme faisait l’austère Cincinnatus. Et il connaît le plus parfait bonheur entre sa femme Suzanne —qui est son meilleur juge— et sa petite fille Nelly.

En ce moment, on dit que cédant à certaines instances, il a entrepris d’écrire ses souvenirs.

 

Mario Brun

LE LIVRE
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Le Petit Parisien de Louis Andrieux, 1876-1944

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