Le silence de ma mère

« Des après-midi emplis de banquises de silence, d’icebergs de silence, tandis que je pense : si je pouvais, ne serait-ce qu’une fois encore, l’entendre dire des banalités quotidiennes. » Le déchirant adieu d’un écrivain à sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer.

Voici la bouche que je dois avoir contemplée à l’infini au berceau. Voici la bouche dont la gymnastique de caresses, de berceuses, de chuchotis m’a hissé à la surface si glissante des mots. Voici la bouche qui effeuille à présent sa langue, déshabille les mots voyelle après voyelle par petits souffles d’air, grincements de dents, lapements. Parfois elle marmotte de pleines bouchées dégoulinantes de bouillie, et je suis celui qui écoute, qui essuie avec un mouchoir la purée de mots sur son menton. **** Ça commence… mais quand commence une telle chose, quels signes sont les premiers ? Ça commence par le mot livre, le mot qui ne lui revient pas, un après-midi où elle se tient devant ma bibliothèque et me demande quand je ferai encore un, euh, tu sais bien, un… comment dit-on, si j’en referais bientôt un – et elle pose l’une contre l’autre ses mains aux doigts tendus et les ouvre et les ferme. Si j’allais encore faire, allons, bon, écrire… un de ces comment-dit-on ? Elle donne un coup de coude à mon père : Dis-le, toi, tu le sais. **** Je pense : je dois aller m’...
LE LIVRE
LE LIVRE

Psaumes balbutiés. Livre d’heures de ma mère de Le silence de ma mère, Fayard

SUR LE MÊME THÈME

Extraits - Non fiction Euclide, ou l’histoire d’un best-seller
Extraits - Non fiction Et Churchill devint Premier ministre
Extraits - Non fiction Chez les militants de la neurodiversité

Aussi dans
ce numéro de Books