Les belles recettes des camps de la mort

« Elles échangeaient des recettes de cuisine, comme je récitais des poèmes, écrit Ruth Klüger dans ses souvenirs d’enfant déportée à Birkenau. C’était une des distractions préférées, le soir, de rivaliser dans la préparation de gâteaux imaginaires avec de généreuses portions de beurre, d’œufs et de sucre. Je ne connaissais pas la plupart de ces plats et je ne pouvais pas avoir de ces mets délicats une vision plus précise que des voyages, des réunions, des années d’études, des fêtes et des danses dont on déballait les souvenirs devant moi ». * À Ravensbrück, Germaine Tillion écrivait aussi des recettes, sur du papier volé aux SS, mais pas pour se distraire. C’était un code. La première lettre de chaque ligne servait à épeler le nom des criminels allemands dont elle espérait qu’ils seraient jugés après la guerre. Ces recettes ont survécu, on peut les voir au musée de la Résistance et de la Déportation à Besançon. Au camp de Terezin, en Tchécoslovaquie, Minna Pächter a rassemblé des recettes écrites à l’encre ou au crayon par diverses mains féminines sur des feuillets épars qu’elle a cousus ensemble avec l’espoir de les transmettre un jour à sa fille, partie en Palestine. Le carnet a voyagé pendant vingt-cinq ans avant de parvenir à sa destinataire. Voici quelques-unes des recettes qu’il contient, telles qu’elles sont transcrites **.   Baisers de bouton de rose bon marché 4-5 blancs en neige, y incorporer 200 g de sucre et 150 g de noisettes battre au bain-marie jusqu’à ce que ce soit épais et chaud. Y ajouter 4-5 cuillères de confiture de rose et 3-4 cuillères d’amidon ou de fécule de pomme de terre. Avec une petite cuillère former des baisers sur des feuilles de pain azyme et faire cuire à feu doux.   Riche gâteau au chocolat 100 g de beurre, 100 g de sucre, 4 jaunes d’œufs, 140 g de chocolat fondu. Incorporer 4 blancs en neige, 30 g de farine. Cuire une fine couche dans un moule, le reste sur une plaque à part et l’émietter. Dans un moule, étaler successivement une couche de crème, une couche de miettes, finir par un glaçage ou de la crème fraîche. Crème : 140 g de choc. avec 50 g de sucre, 2 cuillères d’eau mélanger sur le feu, incorporer ½ l de crème fleurette.   Véritable gâteau juif bon marché Faire une pâte toute simple, quand elle a levé, la poser sur un marbre à pâtisserie. La rouler, râper quelques pommes de terre sur le dessus, saupoudrer de beaucoup de sucre et cannelle et env. 2-3 grosses cuillères de graisse d’oie froide. Etaler et plier la pâte exactement trois fois, en tapisser le moule. Recouvrir pour moitié de réduction de prune et tartiner l’autre moitié de farce de pavot. Refermer avec un couvercle de pâte, badigeonner de graisse au pinceau et cuire à four moyen.   Foin et paille Faire une pâte à nouilles avec ½ kg de farine, 2 œufs, 2-3 cuillères de vin blanc, 2-3 cuillères de crème fraîche épaisse. Etaler la pâte moyennement épaisse. Couper des nouilles courtes et les faire frire dans l’huile chaude. Les retirer et les mettre dans un plat à soufflé les saupoudrer de sucre, cannelle et beaucoup de raisins secs. Maintenant confectionner une crème fine à la vanille, ajouter un peu de crème fraîche, verser sur les nouilles frites, mettre à four chaud et faire cuire un peu et l’apporter dans son plat à table.   Gâteau du marié 2 blancs d’œufs avec 160 g de sucre, 240 g de chocolat avec 6 cuillères d’eau. Ajouter aux blancs, à la fin ajouter la neige. Cuire la porte du four entrouverte.   Quenelles de foie Faire tremper 4-5 petits pains. Maintenant couper ½ kg de foie de veau, ou, encore mieux, de foie d’oie et faire revenir avec des oignons et de la matière grasse. Maintenant, passer le foie au hachoir. Combiner au pain, ajouter une grosse cuillère de graisse d’oie, 5 jaunes d’œufs, sel, poivre et gingembre, et des blancs en neige. On peut aussi mettre les œufs entiers, ajouter un peu de persil, 200 g de chapelure et 200 g de farine, former des quenelles. Saupoudrer d’oignons revenus et de chapelure, servir avec du chou rouge ou du chou rare. Ne pas couper, servir entières.

Notes

* Refus de témoigner, Viviane Hamy, 1997, Poche 2010.
** Les Carnets de Minna, Elsie Herberstein et Anne Georget, Seuil, 2008.

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