Les Egyptiens parlent, les Chinois se bouchent les oreilles

Alors que les Egyptiens ont « libéré leur parole », le gouvernement chinois a supprimé l'accès des moteurs de recherche au mot Egypte. Le virus tunisien a pris désormais la voie informatique... Champions du monde de la métaphore, les Chinois appellent Great Firewall leur système de filtrage : la Grande Muraille des mots.
 
Les mouvements politiques qui secouent le Moyen-Orient sont marqués par la dialectique du droit et des médias. La parole libre n'y est pas une fin en soi, mais un moyen de réguler les agissements arbitraires de l'Etat. La suspension d'Internet en Egypte est la manifestation de ce principe : le régime autoritaire, encourageant un parlement mal élu à contester les décisions de justice, ne peut tolérer aucune forme de régulation médiatique. Or, pour reprendre la formule de Portalis, la justice est « la première dette de souveraineté » : le peuple réclame justice et, dans la société communicante, ne peut le faire qu'au travers des médias.
 
Le grand mérite de cette situation est qu'elle nous fait enfin sortir de la référence aux préceptes moraux abstraits, les « droits de l'homme » - sans cesse invoqués, jamais appliqués, à commencer par leurs prescripteurs - pour entrer dans une époque où les médias apparaissent comme un outil de régulation, complémentaire des institutions du droit. Pendant longtemps, les régimes arabes ont fait valoir que la libre parole, ouvrant la voie au blasphème, pouvait être un facteur de guerre civile entre laïques et religieux. Mais inversement, la censure arbitraire laisse les iniquités impunies et favorise leur propagation sans limite. C'est ce dilemme qui, dans le dialogue politique entre laïques et religieux, trouve aujourd'hui si ce n'est une issue, au moins une formulation nouvelle. Rarement la question de l'expression publique, souvent incarnée par des individualités bruyantes, n'aura trouvé une telle dimension sociétale.
 
On comprend alors que les Chinois, tempérant de manière aussi centralisée que secrète la croissance et la corruption, s'inquiètent de la montée en puissance de médias instillant une régulation a priori moins contrôlable. Il est facile de museler quelques dissidents individuels. Mais que se passerait-il si la parole libérée des Chinois remettait en cause l'ensemble des moyens de régulation du régime ? Dans le doute, mieux vaut ne pas trop propager le mot « égypte »...

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