Les frustrés de Riyad

Circulant sous le manteau dans le royaume, un roman saoudien décrit la dépravation d’une société condamnée à l’apartheid sexuel.

La maison d’édition libanaise Dar Al-Saqi a longtemps hésité avant de procéder au troisième tirage de « Rue Al-Atayef », le sulfureux roman de l’écrivain saoudien Abdallah Ben Bkhit, initialement paru en 2009. L’éditeur craignait en effet que l’Arabie saoudite, par mesure de rétorsion, interdise à la vente tous les autres titres de son catalogue. C’est que l’ouvrage, censuré dans le royaume et dans plusieurs monarchies du Golfe, a créé une vaste polémique lors de sa sortie et n’a cessé, depuis, de piquer la curiosité des lecteurs arabes. L’audacieux roman décrit la perversion d’une société saoudienne malade de son conservatisme et de ses tabous. Avec ses cafés sordides et ses échoppes miteuses, la rue Al-Atayef est emblématique des quartiers pauvres et des zones interdites de la richissime Riyad, la « Rowayd » du roman. C’est aussi là que se croisent les destinées tragiques des trois personnages masculins de Ben Bkhit. Ainsi suit-on le voyage au bout de l’enfer de Nasser, bel Adonis éperdument amoureux de sa cousine, qui plonge malgré lui dans la prostitution après avoir été violé par deux hommes (puis par bien d’autres). Chenghafa, lui, est un esclave affranchi condamné à la prison à vie le jour où l’on découvre sur lui la culotte d’une femme, sa bien-aimée. Enfin, il y a Saad, qui s’éprend jusqu’à l’obsession d’une prostituée de la rue Al-Atayef et qui multiplie les larcins pour gagner l’argent qui lui permettra d’assouvir ses désirs. Avec ce premier roman, l’intellectuel libéral Abdallah Ben Bkhit plonge ses lecteurs dans « un monde de dépravation permanente », lit-on dans le quotidien libanais An-Nahar. « Ce roman est unique dans la littérature saoudienne contemporaine », où l’on dénonce souvent le sort des femmes, mais jamais la frustration ressentie par tous face à l’apartheid sexuel ambiant. « Ben Bkhit lève le voile sur la souffrance des hommes et montre que l’oppression est une et indivisible », explique encore An-Nahar. « Dans ce monde des ténèbres où le tueur, le proxénète, le religieux ou l’intellectuel sont mus par les mêmes frustrations, l’agresseur et l’agressé sont l’un et l’autre également victimes d’une même société oppressive, souligne Fawzya Chaouich Al-Salem du quotidien koweitien Al-Jarida. C’est le grand mérite du roman que de le rappeler. »
LE LIVRE
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Rue Al-Atayef de Abdallah Ben Bkhit, Dar Al-Saqi

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