Les trois mémoires de l’humanité

Lisez Aux origines de la culture,(éditions du Pommier/Cités des sciences) petit essai stimulant et limpide d’un philosophe embarqué dans le voyage anthropologique. En héritier de Darwin, l’auteur de L’origine des espèces, Roland Schaer interroge, lui aussi, la distinction reçue, dans le règne animal, entre l’homme et les autres espèces sous le rapport de la culture. Pour lui, tout le vivant, celui qui apparaît il y a six cent millions d'années avec le premier système nerveux central (déterminant la perception et la locomotion) partage les trois mémoires. La mémoire génétique. La mémoire individuelle. La mémoire sociale. La mémoire génétique qui met en jeu, dans la longue durée de l’évolution, un dispositif  sélectif de mémorisation propre à l’espèce. Est enregistré ce qui, dans l’évolution, a réussi et a permis à l’espèce de s’adapter. La mémoire individuelle qui concerne le temps court de l’existence de l’individu et qui lui permet de mener ses propres expériences, d’en tirer les leçons, d’apprendre et de s’améliorer. La mémoire sociale qui ajoute une dimension supplémentaire organisée autour de l’idée que l’on peut apprendre des autres, que la mémoire des expériences est susceptible d’être transmise. C’est sur ce dernier chapitre que l’essai de Roland Schaer emporte la conviction. Il rappelle, à cet égard, les nombreuses études menées sur les primates pour montrer comment l’innovation dans un groupe est repérée, formalisée,  "transmise" et réutilisée par d’autres individus du même groupe – comme, par exemple, le cassage de noix chez certaines populations de singes. Innover, apprendre, transmettre autant d’opérations "culturelles" qui se vérifient aussi bien chez l’homme que chez l’animal (et jusqu’à la très rudimentaire limace de mer !). Darwin, dans La filiation de l’homme, suggérait déjà que le règne animal avait produit une morale : l’évolution n’est pas cette machinerie aveugle à sélectionner les plus forts; dans certains cas, des comportements de solidarité, mais plus généralement ce que Roland Schaer identifie comme le souci parental, ouvrent à des comportements favorisant, à rebours, la protection du plus faible. Cette piste, qui devrait être développée autour de la notion de responsabilité - répondre non pas seulement de sa propre existence mais de celle d’un autre - nourrit une réflexion nouvelle. A rebours de la conception kantienne de la responsabilité - envisagée sous le seul aspect de l’imputation de la faiblesse dans l’action - Roland Schaer développe un autre point de vue. La responsabilité envisagée comme puissance de l’un à répondre de l’existence de l’autre. Nul doute que ce petit livre discret n’alimente bientôt, à sa façon, le débat sur la philosophie du « care », largement en débat aux Etats Unis et qui prend le contre-pied de ce courant pessimiste qui, de Hobbes à Nietzsche, en passant par les moralistes français ne comprend la vie sociale qu’au filtre de la guerre généralisée des égoïsmes.

LE LIVRE
LE LIVRE

1968. Le long chemin de la démocratie de Les trois mémoires de l’humanité, Cal y arena

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