Lettres d’un jeune poète à sa mère
Publié dans le magazine Books n° 19, février 2011.
Le grand poète autrichien Rainer Maria Rilke avait 8 ans quand ses parents se séparèrent, en 1884. Plutôt que de l’emmener avec elle à Vienne, sa mère préféra l’envoyer en pension dans une école militaire. Ils ne se revirent presque plus mais, à partir de 1896, une intense correspondance s’engagea...
Le grand poète autrichien Rainer Maria Rilke avait 8 ans quand ses parents se séparèrent, en 1884. Plutôt que de l’emmener avec elle à Vienne, sa mère préféra l’envoyer en pension dans une école militaire. Ils ne se revirent presque plus mais, à partir de 1896, une intense correspondance s’engagea. « Il écrivit à Phia (Sophie) en général toutes les semaines, souvent jusqu’à deux ou trois fois par jour, trente ans durant jusqu’à sa mort, en 1926 (Sophie lui survécut cinq ans) », rapporte Christoph König dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Cette montagne de près de 1 200 lettres était restée jusqu’à présent inédite. Hella Sieber-Rilke, épouse du petit-fils de l’écrivain, a entrepris de la publier. Toutes les lettres sont de la plume du poète : éternel voyageur, soucieux de ne pas s’encombrer, Rilke avait l’habitude de jeter les lettres de ses correspondants une fois lues, et celles de sa mère ne firent pas exception.
Cet échange met en évidence une curieuse dialectique : « Une trop grande proximité, que la correspondance assidue aide précisément à éviter, conduit, lors d’une visite de la mère à son fils en 1904 à Rome à une crise. Les lettres de Rilke ont pour but de tenir sa mère à distance sans pour autant perdre sa bienveillance. Il a besoin de ces deux choses pour son travail – ou comme il le dit lors de la crise de Rome : “Je ne peux vraiment être tranquille et me recueillir que si tu me le permets de bonne grâce et sans amertume.” »
Autre intérêt de ces lettres : découvrir le poète au quotidien, « comment il a décoré sa maison de Westerwede ; en quoi consiste son régime alimentaire, avec combien de paires de chaussures il voyage (sept, avec un sac pour chaque paire) ; son goût pour les trajets de Paris à Duino dans la voiture avec chauffeur de la princesse Marie von Thurn und Taxis », note König, pour qui Rilke se révèle en fin de compte un homme étonnamment pratique.