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Me Too avant le hashtag

Bien avant l’affaire Weinstein, il y eut aux États-Unis la sulfureuse affaire Breckinridge, qui défraya la chronique à la fin du XIXe siècle. Dans Bringing Down the Colonel, la journaliste américaine Patricia Miller retrace les affres de ce scandale qui préfigure à bien des égards la vague d’indignation rassemblée sous le hashtag MeToo.

« Rupture de promesse de mariage »

Les prémices du récit de Miller sont d’une extrême banalité : une jeune fille de 17 ans, de condition modeste mais désireuse de s’élever socialement, tombe sous le charme d’un homme d’âge mûr, enjôleur, et occupant une position de pouvoir. Cet homme, c’est le colonel William Breckinridge, un démocrate réélu pour la quatrième fois à la Chambre des représentants. Bien que marié et célébrant volontiers le puritanisme dans ses discours, il fait de la jeune Madeleine Pollard sa maîtresse. De leur union secrète naissent deux enfants, aussitôt placés dans un orphelinat sur l’insistance de leur père. Lorsque son épouse légitime meurt, plutôt que d’officialiser sa relation avec Madeleine Pollard, le colonel préfère se remarier avec une cousine éloignée. Furieuse de se voir ainsi flouée, la jeune femme décide en 1894 d’assigner Breckinridge en justice, pour « rupture de promesse de mariage ».

Une revendication féministe

Cette démarche ne manque pas de surprendre l’intéressé, puisque l’époque veut que les femmes célibataires jettent un voile pudique sur leur sexualité. Certain qu’il lui suffirait d’évoquer la « dépravation morale » de la jeune fille pour être blanchi, le colonel tombe des nues lorsqu’il constate que l’opinion publique prend largement le parti de son ex-maîtresse. Ce n’était pas tellement l’argent qui motivait l’initiative de la plaignante, mais une revendication féministe, montre Patricia Miller. À savoir, davantage d’égalité en matière de mœurs sexuelles.

Non seulement Madeleine Pollard gagna son procès, mais elle ouvrit une brèche pour les réformistes qui s’indignaient que la sexualité des hommes soit systématiquement encensée, tandis que celle des femmes devait être réprimée. « Le passionnant récit de Miller est incroyablement actuel et nous rappelle tristement que, pour ce qui est de l’hypocrisie en matière de mœurs sexuelles, nous n’avons pas progressé tant que ça depuis la fin du XIXe siècle », souligne Jennifer Latson dans The Boston Globe.

 

À lire aussi dans Books : Les limites d’une révolution culturelle, mai/juin 2018.

LE LIVRE
LE LIVRE

Bringing Down the Colonel de Patricia Miller, Sarah Crichton Books, 2018

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