Publié dans le magazine Books n° 18, décembre 2010 - janvier 2011.
En route vers son exil américain, Bertolt Brecht fait une escale à Moscou, où il écrit à son ami le romancier soviétique Konstantin Fedine. Sa lettre, datée du 29 mai 1941, évoque avec gratitude une femme qui, six ans auparavant, dans cette même ville de Moscou, l’a guéri d’une vilaine grippe. « Aidez-la autant que vous le pouvez », recommande-t-il à l’apparatchik. Il précise son nom : Angela Rohr.
En route vers son exil américain, Bertolt Brecht fait une escale à Moscou, où il écrit à son ami le romancier soviétique Konstantin Fedine. Sa lettre, datée du 29 mai 1941, évoque avec gratitude une femme qui, six ans auparavant, dans cette même ville de Moscou, l’a guéri d’une vilaine grippe. « Aidez-la autant que vous le pouvez », recommande-t-il à l’apparatchik. Il précise son nom : Angela Rohr.
En 2005, l’universitaire allemande Gesine Bey part en Russie se renseigner sur cette inconnue. Ce qu’elle découvre la stupéfie. Comme l’explique Elke Schmitter dans le
Spiegel : « La femme qui a soigné Brecht n’est autre que l’expressionniste Angela Hubermann, collaboratrice de la revue berlinoise
Die Aktion, que la dadaïste Angela Guttmann, que la journaliste Angela Ror du
Frankfurter Zeitung, que cette Helene Golnipa, enfin, dont le roman “Face à l’ange de la mort de Staline” est paru à titre posthume en 1989 en Autriche. Au total, cette Angela, née autrichienne en 1890 et décédée à Moscou en 1985, a porté huit noms : noms d’époux, d’artiste, pseudonymes littéraires… Et elle a vécu au moins autant de vies. »
Gesine Bey a rassemblé ses écrits dans un ouvrage que le
Spiegel qualifie de « sensation littéraire ». On y trouve, outre ses reportages et son roman posthume, deux récits inédits où elle relate son expérience du goulag. Car la lettre de Brecht n’eut guère d’effet. Quatre semaines après qu’elle eut été envoyée, Angela et son troisième époux, un communiste allemand avec qui elle s’était installée à Moscou en 1925, étaient arrêtés, accusés à tort d’espionnage et condamnés. Lui mourut vite, elle survécut grâce à ses talents très prisés de médecin autodidacte. Au bout de cinq ans de camp, sa peine fut commuée en bannissement à vie, en Sibérie.
Elle ne fut autorisée à revenir à Moscou qu’en 1961. Ses récits se caractérisent par leur attention au concret et des descriptions sans concession de la vie concentrationnaire. « Si on les compare à
Une journée d’Ivan Denissovitch de Soljenitsyne, c’est une planche à clous par rapport à une couchette d’auberge de jeunesse », estime Schmitter.
=> Comparer les articles Universalis et Britannica sur le goulag.