Obama l’orateur

Je ne me lasse pas de revoir, sur le net, les discours politiques. Il n y rien de plus fascinant. Ils comptent parmi les actes les plus achevés de la culture orale mais ils sont, en fait, des monuments de la culture écrite. Alors je me suis abîmé les yeux à visionner ceux d’Obama. Voilà donc ma rencontre. Elle n’est pas originale. Mais elle est répétable grâce à la capacité indéfinie du web de me mettre en contact avec ces morceaux d’éloquence que le surdoué de la Maison Blanche a produit, au fil de son tour d’Amérique. L’un d’entre eux – celui de Philadelphie - a été traduit et publié en français en juin 2008 (Editions Grasset). On avait oublié, sous l’ère Bush, que l’Amérique était le pays où la parole fait spectacle. Sans doute parce que, dans une démocratie dont l’idée mère, comme dit Tocqueville, est « l’égalité de conditions », il n’y a pas d’autre moyen de construire de l’autorité. Dans ce conciliabule de tous avec tous, seule vaut la raison  - et surtout la manière de l’exprimer ! Comment décrire celle d’Obama ? C’est un sourire. Une langue. Un corps. Et surtout une main ! Regardez-la. Longue aux doigts fins. Voilà qu’elle se lève, avec la pensée, le pouce joint à l’index, les autres doigts repliés. L’idée s’y tient, bien tenue à la jointure de cette subtile tenaille. C’est presque gênant. Car une fois aperçue cette élégante ouvrière de la parole, on finit bientôt par ne plus voir qu’elle. Les discours sont cette main. Ce geste souple. Toujours le même. Mélange de saisie et de caresse. Il y a quelque chose d’érotique, vraiment, dans le rapport d’Obama avec son auditoire. Et cette « touche » unique varie selon que l’on a devant soi, l’Obama juriste, l’Obama tribun, l’Obama prédicateur. Miracle de la multiplication des voix. Un seul corps, mais plusieurs orateurs qui se succèdent en un morphing continu. L’éloquence de barreau d’abord. Obama est homme de droit, rompu à l’analyse de « cas » - celui du vieil homme noir dans un caucus du sud (discours de Philadelphie) ou celui de la vieille dame noire de 106 ans (discours de Chicago). Avec sa tête mue par un permanent mouvement de tourelle, Obama donne le sentiment de vouloir accrocher sur son sonar non pas la foule, mais le regard de chacun dans la foule, comme s’il s’agissait d’un banc de jurés à convaincre. L’éloquence de tribune. Obama, à cet égard, est l’héritier des founding fathers - les John Adams, Jefferson, Lincoln - auxquels il emprunte, dans l’excellence intellectuelle, quelque chose de l’austérité puritaine. L’éloquence de chaire enfin. Obama a fréquenté les black church et connaît le talent singulier, musical, des prêches de pasteurs noirs. Parole-chant, parole-prière suscitant l’émotion collective. Rien de tel chez l'actuel locataire de la Maison blanche, dont le discours paraît en comparaison peu marqué, mais dont la construction ménage toujours la clausule liturgique du « yes we can ».


LE LIVRE
LE LIVRE

1968. Le long chemin de la démocratie de Obama l’orateur, Cal y arena

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