Tout bien réfléchi
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Poutine rêve-t-il de l’Eurasie ?


Voilà un an que l’armée russe est, officiellement, engagée militairement en Syrie. Avant cela, elle avait envahi l’Ukraine et annexé la Crimée. A quoi joue Poutine ? A détourner l’attention de l’opinion de sa kleptocratie, à faire oublier la ruine du pays ? Ou s’agit-il de réhabiliter une ambition impériale fondée sur la croyance dans le caractère exceptionnel de la civilisation russe ? Le journaliste américain Charles Clover cherche la réponse à cette question dans les discours du chef du Kremlin. Dans Black Wind, White Snow: The Rise of Russia’s New Nationalism, Clover traque les mots-clés qui renvoient à l’imaginaire de l’eurasisme dans les propos de Poutine. Selon cette idéologie, l’identité nationale russe est déterminée par son ethnicité, sa géographie et son destin. Elle a été théorisée, à l’origine, par des aristocrates fuyant la révolution de 1917 mais également désenchantés par le libéralisme occidental. Elle repose sur une vision particulière de l’histoire de la linguistique, selon laquelle les tons de la langue russe auraient plus en commun avec celles d’Asie centrale qu’avec celles d’Europe. Cette proximité serait au fondement d’une convergence des consciences permettant de dessiner les frontières d’une « civilisation eurasienne » dont la Russie serait le cœur battant. De là, il n’y a qu’un pas à faire pour plaider que tous les problèmes du pays viennent de sa tentative d’imiter les Européens.

L’idéologie eurasiste a resurgi à plusieurs reprises au cours du XXe siècle. Elle a été récemment actualisée par Alexandre Douguine, dont l’ouvrage « Les fondations de la géopolitique » (1997) est, dit-on, devenu l’ABC de Académie militaire de l’état-major de l’armée russe. Selon Clover, l’eurasisme permet aux dirigeants d’affranchir le pays du rationalisme occidental, avec son obsession pour la vérité et la logique, et de poursuivre des objectifs différents, d’ordre mystique en « créant une frontière géographique autour d’une vérité à part ». Il offre ce faisant un nouvel horizon à la Russie orpheline de l’idéal communiste, fondé sur « la sympathie inconsciente des peuples de l’Union soviétique, l’unité millénaire de l’Eurasie centrale et la méfiance pour l’Occident ».

Poutine adhère-t-il vraiment à cette idéologie ? Rien n’est moins sûr pour Clover. A ses yeux, le président russe ne fait que s’en servir pour mobiliser sa base, dans un contexte marqué par le conflit en Ukraine et les sanctions européennes.

LE LIVRE
LE LIVRE

Black Wind, White Snow : The Rise of Russia’s New Nationalism de Charles Clover, Yale University Press, 2016

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