Questions autour des réfugiés climatiques

« Si aucune mesure substantielle n’est prise à la conférence sur le climat [COP 21], déclarait François Hollande en septembre dernier, ce ne sont pas des centaines de milliers de réfugiés que nous aurions à traiter dans les 20-30 prochaines années, mais des millions ». La notion de « réfugié climatique » a été mise sur le devant de la scène par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), qui en 2005 avait placé sur son site une carte de points chauds dans le monde titrée : « 50 millions de réfugiés climatiques en 2010 ». Le PNUD est l’un des deux organismes de tutelle du GIEC. En 2007, dans son blockbuster Une vérité qui dérange, Al Gore montrait des images d’atolls du Pacifique et déclarait : « C’est la raison pour laquelle les citoyens ont tous dû être évacués en Nouvelle-Zélande ». Les Néo-Zélandais n’avaient vu arriver personne. En 2011, comme il ne s’était rien passé de concret, le PNUD a mis sa carte à la trappe mais conservé un article du même tonneau. Le titre était désormais : « A venir en 2020 : 50 millions de réfugiés environnementaux ». Glissement sémantique : «environnementaux » ratisse plus large que « climatiques ». Mais la notion de réfugié climatique s’est installée, comme en témoignent les propos de Hollande. Le site Planétoscope chiffre sur sa page d’accueil le nombre de réfugiés climatiques dans le monde depuis le 1er janvier et même « depuis que vous êtes connecté ». Total depuis 2014 : 19, 3 millions. Le site Wikipedia en français explique : « De 2000 à 2050, ce sont au moins un milliard de personnes qui devraient migrer de par le monde, dont plus de la moitié pour s’adapter au réchauffement climatique ». Ce qui donne plus de 500 millions de réfugiés climatiques. En vue de la COP21, le Parlement européen a voté une résolution demandant «  que la problématique des réfugiés climatiques et sa gravité […] soient prises au sérieux » et « déplore que le statut de réfugié climatique ne soit pas encore reconnu ». Mais qu’est-ce donc qu’un réfugié climatique ? Si l’on considère l’histoire longue de l’humanité, peut-on rétrospectivement en identifier ? Le Déluge, s’il se référait à un événement réel, en a sans doute créé. Pour les archéologues, les premiers candidats sérieux sont peut-être les populations paléoindiennes de la culture Clovis, confrontées à une période chaude qui a entraîné voici un peu moins de 13 000 ans dans le Sud-Ouest de l’Amérique du Nord une sécheresse terrible, auprès de laquelle celle de la Californie ces dernières années fait pâle figure. Mais ces populations ont migré sur la durée, sans doute pas dans la précipitation. Plus près de nous, les derniers fermiers du Groenland qui ont dû repartir vers l’Islande et la Norvège en raison du Petit âge glaciaire, au XIVe siècle, mériteraient la qualification. Aujourd’hui la question reste ouverte. Sur quels critères une personne ou un groupe de personnes pourraient-ils être reconnus comme tels ? La planète connaît certes de graves problèmes environnementaux, mais pour l’instant du moins, pas de stress climatique comparable par exemple à ce que fut le Petit âge glaciaire, et aucune catastrophe naturelle au sens événementiel du terme ne peut être objectivement présentée comme causée par un changement climatique. Les inondations du Bangladesh, souvent invoquées, sont sans rapport démontré avec une élévation du niveau de la mer ni avec la fonte des glaciers himalayens. L’été dernier un habitant d’un atoll du Pacifique venu chercher du travail en Nouvelle-Zélande s’est vu refuser le statut de réfugié climatique réclamé par son avocat, les juges ayant estimé en appel qu’il n’était pas en danger dans son pays. De fait, la question de savoir si les îles coralliennes sont menacées par une hausse du niveau de la mer est controversée. Dans un article publié en 2010 dans le Journal of International Development, l’universitaire américaine Betsy Hartmann invitait à s’interroger sur les tenants et aboutissants des « récits » élaborés sur les réfugiés climatiques et pose la question dérangeante des intérêts réels souvent très concrets des narrateurs. Entre autres, ces récits nourrissent la peur de l’autre, la xénophobie et des réflexes de repli. De façon plus inattendue, Betsy Hartmann montre qu’ils font le jeu des multinationales, en quête de marchés, et même celui du département américain de la Défense, en quête d’influence sur le terrain. En agitant ce spectre, Hollande n’invente rien. Olivier Postel-Vinay Cet article est paru dans Libération le 24 novembre 2015.

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