Rayonnement Nazi

Hitler et Goebbels prirent le contrôle du cinéma français lors de l’Exposition universelle de 1937, à Paris.

Dès son accession au pouvoir, en 1933, Hitler mit en place un plan très élaboré destiné à prendre le contrôle des organisations culturelles en Europe pour en faire des instruments du pouvoir nazi, explique l’historien Robert Paxton dans son compte rendu d’un livre passionnant signé Benjamin G. Martin, de l’université d’Uppsala. L’ambition affichée était de tourner le dos à la conception universaliste des arts et de la culture, incarnée par l’héritage des Lumières et la tradition française, pour faire des artistes les hérauts de la conception raciale du Volk. La cible prioritaire d’Hitler et de Goebbels était le cinéma, car ils étaient « aussi obsédés par les films que les adolescents actuels par les réseaux sociaux », écrit Paxton dans The New York ­Review of Books. Ils y voyaient le principal moteur du rayonnement culturel. À la Mostra de Venise de 1935, les délégués de 12 pays créent, à l’instigation de Goeb­bels, la Chambre internationale du film (IFC). L’industrie allemande du cinéma étant la première d’Europe, l’IFC était présidée par un Allemand, Oswald Lehnich, à la tête de la Chambre du film du Reich. Les nazis profitèrent de l’Exposition universelle organisée par la France en 1937 pour réaliser un coup de maître : offrir à un Français docile la présidence de l’IFC. Il s’agissait du producteur Georges Lourau, qui dirigeait la filiale française de la puissante entreprise allemande de projecteurs Tobis-Klangfilm. Près de 400 délégués représentant 16 pays firent la fête pendant six jours. Des films furent projetés dans un pavillon spécial sous la tour Eiffel, des feux d’artifice lancés sur la Seine, une soirée de gala se tint au cinéma Marignan-Pathé. La France afficha ses compétences techniques en projetant Panorama au fil de l’eau, de Jean Tedesco, sur un écran géant de 60 mètres de long sur 10 mètres de haut au Palais de la lumière, et tout le congrès fut emmené au Havre pour une cérémonie à bord du SS Normandie, le plus grand ­paquebot transatlantique. Le siège de l’IFC fut établi à ­Paris. Le président Lourau n’était qu’une potiche, le pouvoir étant effectivement assumé par deux des vice-présidents, le producteur Carlo Roncoroni, propriétaire des studios Cinecittà que Mussolini venait d’inaugurer, et bien sûr l’indispensable Oswald Lehnich. Ce faisant, les nazis parvinrent à convaincre les producteurs français, faibles, divisés et dépendant de la manne financière de l’industrie allemande, de s’organiser selon le modèle corporatiste de la Chambre du film du Reich, qui rassemblait producteurs, distributeurs et salles de projection sous l’autorité de l’État.
LE LIVRE
LE LIVRE

The Nazi-Fascist New Order for European Culture de Benjamin G. Martin, Harvard University Press, 2016

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