Lu d'ailleurs
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Tous égoïstes

Pourquoi avez-vous choisi le métier que vous exercez  ? Pourquoi avez-vous donné un peu d’argent au sans-abri assis à la porte de la boulangerie ? Pourquoi avez-vous décidé de partir en vacances à Capri ?

Dans toutes ces situations, vous avez agi en fonction de ce que vous pensiez être vos envies, vos besoins, vos devoirs, mais aussi inconsciemment en fonction de ce que pensiez pouvoir retirer de votre action. Nous estimons par nos choix participer à la vie de la communauté, mais la plupart sont en fait liés à la compétition primale pour acquérir statut social et partenaires sexuels, soutiennent l’essayiste Kevin Simler et le professeur d’économie Robin Hanson dans The Elephant in the Brain.

Nous ne nous en rendons pas compte, car nous nous mentons à nous-mêmes. Nous sommes même programmés pour cela. Faire consciemment l’effort de construire un discours justificateur afin de faire passer nos actes égoïstes pour des activités sociales serait épuisant. Nous sommes parfois capables de percer ces motivations inconscientes chez les autres. Mais pas chez nous, ou pas sans véritable effort.

Cet effort serait pourtant bienvenu dans certains domaines, note l’économiste Samuel Hammond dans le magazine en ligne Quilette. Car notre aveuglement a des conséquences sur les politiques publiques. « Ainsi investir dans la santé publique, apprenons-nous, ne revient pas qu’à améliorer notre santé; c’est aussi une façon dispendieuse de montrer que nous nous soucions des autres. En l’admettant, nous pourrions probablement réduire cette dépense de moitié sans conséquence sur l’état de santé général de la population », remarque Hammond. « De la même manière, faire un don ne sert pas, ou pas uniquement, à faire le bien dans le monde, c’est aussi un moyen d’exercer sa générosité tout en baignant dans l’aura réconfortante de l’approbation générale. Un mouvement dédié à l’altruisme efficace pourrait rectifier cela en assujettissant les causes philanthropiques à la rigueur utilitariste. »

Mais « même si nos motivations sont fondamentalement égoïstes, il reste une différence significative entre un criminel violent et des gens dont l’égoïsme les pousse à financer un système de santé (trop) généreux ou donner à des œuvres de charité (inefficaces) », tempère le journaliste Danny Crichton, sur le site d’information TechCrunch. Simler et Hanson essayent d’ailleurs tout au long de leur livre d’éviter de tomber dans le cynisme, et le terminent sur une note optimiste. « Nous sommes peut-être des animaux sociaux obnubilés par la compétition et nos intérêts personnels, aveuglés sur nos propres motivations, mais nous avons su coopérer pour aller jusqu’à cette foutue Lune. »

À lire aussi dans Books :Le paradoxe du clochard, mars 2013.

LE LIVRE
LE LIVRE

The Elephant in the Brain de Kevin Simler et Robin Hanson, Oxford University Press, 2018

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