Un roman pas comme les autres


Orgasmic Man (1969), de Peter Hujar

Sur le site Vulture, Hanya Yanagihara a expliqué qu’elle avait voulu créer « un protagoniste qui ne va jamais mieux ». On peut difficilement imaginer un arc narratif plus répulsif. Comment se fait-il alors que son roman Une vie comme les autres soit un livre aussi captivant ?

Malgré sa longueur, malgré son thème apparemment rébarbatif, il s’est très bien vendu aux Etats-Unis. Il y a en outre remporté le Kirkus Prize et manqué de peu le Man Booker Prize. Surtout, il a donné lieu à plusieurs critiques non seulement dithyrambiques, mais bouleversées. « Pendant que je le lisais, j’en ai littéralement rêvé chaque nuit », confesse John Powers sur le site de la National Public Radio. Dans le Los Angeles Times, la romancière d’origine coréenne Steph Cha renchérit : « le livre d’Hanya Yanagihara est le seul que j’aie lu dans ma vie d’adulte qui m’ait fait sangloter. » Quant à Brigid Delaney du Guardian, elle raconte les insomnies de son frère et les SMS obsessionnels échangés avec un ami (« Ce livre me tue »).

Le début est diabolique. Quatre amis tout juste diplômés d’une prestigieuse université de la côte Est s’installent à New York. Il y a JB, l’artiste peintre, fils d’émigrés haïtiens, élevé par sa mère et ses tantes, grande gueule, homosexuel assumé, et le plus ouvertement ambitieux des quatre ; Malcom, le fils d’un couple mixte et très aisé de l’Upper East Side, qui se cherche davantage, ne sait pas s’il est blanc ou noir, homo ou hétéro, a honte de sa richesse et se destine à la carrière d’architecte ; Willem, le bel orphelin de l’Amérique profonde, bourreau des cœurs et cœur en or, qui rêve d’être acteur et, comme beaucoup de ceux qui rêvent d’être acteur, travaille, en attendant, comme serveur dans un restaurant. Et puis il y a Jude.

Le lecteur s’apprête à suivre les trajectoires croisées de ces quatre amis, leurs réussites et leurs échecs, leurs joies et leurs peines. C’est une perspective plaisante et beaucoup de critiques anglo-saxons ont noté que cette entrée en matière stimulante et souvent drôle – en particulier, dans ses descriptions sociologiques – leur rappelait le roman culte de Mary McCarthy, Le Groupe. Sauf que quelque chose cloche. Au sens propre. C’est Jude, à qui une jambe douloureuse rend difficile la montée des escaliers.

Comme le note le romancier Jon Michaud dans The New Yorker, « il devient assez vite évident qu’Hanya Yanagihara a davantage en tête qu’un simple roman d’apprentissage conventionnel ». Peu à peu les discordances s’accumulent. Alors que la narration était restée centrée jusque-là sur JB, Malcolm et Willem, Jude finit par entrer en scène, et avec lui son terrible passé. La tonalité bascule, mais il est trop tard : on n’a pas envie de dénoncer cette rupture du contrat initial, on est pris. On le restera près de 1000 pages.

 

A lire dans le prochain numéro de Books (en kiosque le 8 février), une critique détaillée d’Une vie comme les autres, d’Hanya Yanagihara.

LE LIVRE
LE LIVRE

Une vie comme les autres de Hanya Yanagihara, Buchet-Chastel, 2018

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