Un Zimbabwe de caricature

Le journaliste Peter Godwin ne fait décidément pas l’unanimité : comme le précédent, son nouveau livre sur le régime de Mugabe est poignant, mais manichéen.

Quand il saute dans le premier avion pour le Zimbabwe au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle de mars 2008, le journaliste blanc zimbabwéen Peter Godwin (qui a fui le pays dans les années 1980) n’espère qu’une chose : « Danser sur la tombe politique de Robert Mugabe. » Il sera vite déçu. The Fear est son récit détaillé et poignant de la campagne de terreur menée contre l’opposition (180 morts selon Amnesty International). Arrivé en tête au premier tour, son chef de file Morgan Tsvangirai finit par abandonner et Robert Mugabe, seul en lice, est réélu en juin à la présidence.

Le livre de Godwin « décrit l’abîme de dépravation où ont plongé les hommes de main de Mugabe lorsque, imbibés d’alcool et de drogue, ils se sont déchaînés contre un peuple dont le seul crime avait été de manifester son désir de changement », écrit l’opposant exilé Wilf Mbanga, qui salue dans le Guardian britannique un travail « passionné et courageux ». Godwin a parcouru le pays clandestinement et arpenté les hôpitaux de la capitale, Harare. Des victimes lui ont raconté comment elles avaient été rouées de coups, torturées. Un homme décrit cette voiture qui a roulé sur ses jambes, encore et encore, jusqu’à les lui broyer ; le nouveau maire de la capitale dit l’enlèvement de sa famille, l’incendie de sa maison et les funérailles de sa femme assassinée auxquelles il n’a pu assister.

Le journaliste sud-africain Percy Zvomuya l’admet : « Certains passages sont saisissants, en particulier lorsque Godwin parle avec des gens ordinaires. » Mais « The Fear est aussi un livre simpliste qui réduit la crise zimbabwéenne à ces trois mois tragiques de 2008, gorgés de sang et de peur », déplore-t-il dans le Mail & Guardian de Johannesburg. Et de constater : « Le Mugabe de l’imagination de Godwin est un monstre que l’on ne peut expliquer. » Comment le « héros de la libération » est-il devenu ce « bandit tyrannique » ? La nature violente d’un homme peut-elle à elle seule expliquer le naufrage d’un pays ? Pour Zvomuya, inutile de chercher des réponses dans le livre de Godwin, dont « il est difficile d’ignorer le préjugé néorhodésien [Godwin est né en 1957 dans ce qui était alors la colonie de Rhodésie du Sud] et sa nostalgie à peine déguisée pour l’ancien monde ». Sans être si virulente, la journaliste américaine Susi Linfield avait relevé en 2007 la « partialité saisissante » dont faisait preuve Godwin dans ses mémoires Quand un crocodile mange le soleil (1) [lire « Le suicide du Zimbabwe », Books, n° 2, février 2009, p. 32-35].

Mieux vaut, selon Zvomuya, se tourner vers les chercheurs pour se faire une idée plus juste de la situation du pays. Il cite, entre autres, les travaux de Sabelo Ndlovu-Gatsheni, auteur de Do “Zimbabweans” exist? (Peter Lang), expliquant que la violence au Zimbabwe n’a rien d’un phénomène « isolé ou éphémère », mais « a pris la forme d’une culture » nourrie, entre autres, par la colonisation britannique, le régime raciste de Ian Smith (Premier ministre de Rhodésie de 1964 à 1979) et la guerre civile qui mena à son renversement à la fin des années 1970.

1| Fayard, 2008.
 
LE LIVRE
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La peur. Les derniers jours de Robert Mugabe de Un Zimbabwe de caricature, Picador

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