Verlaine intraduisible
Publié dans le magazine Books n° 26, octobre 2011.
Une version américaine des Poèmes saturniens illustre la difficulté qu’il y a à traduire la poésie en vers.
Le poète américain Karl Kirchwey a entrepris en connaissance de cause une tâche improbable : traduire la poésie de Verlaine. Il s’agit en l’occurrence du premier recueil de son œuvre, les Poèmes saturniens, qui regroupe des textes écrits au lycée et d’autres, écrits plus tard. Malheureusement, le résultat illustre trop souvent de manière cinglante « à quel point le français de Verlaine résiste à la traduction dans l’anglais de Kirchwey – et peut-être l’anglais tout court », écrit le célèbre critique américain Edmund White dans le Times Literary Supplement. Il fournit plusieurs exemples révélateurs. Le vers La voix qui rit ou pleure alors qu’on pleure ou rit (à la fin du Prologue) devient ce « lourdingue » : The voice that cried or laughed, when one laughed or cried. Le dernier vers du Prologue est cet envoi : Maintenant va, mon Livre, où le hasard te mène ! Il est rendu par ce vers « épais » : Now go, my Book, where chance may indicate. Selon White, « là où le français est si léger que l’esprit glisse sans effort, l’exactitude bourrue de l’anglais donne aux vers une dignité paysanne (ou une lourdeur pédante) ». Autre exemple : L’or des cheveux, l’azur des yeux, la fleur des chairs devient Blonde hair, blue eyes, the flesh in flower, dénaturant la « musique subtile » de Verlaine. Le vers Il est juste-milieu, botaniste et pansu devient platement : A young man of means, a botanist, potbellied.
L’une des difficultés tient au fait que la langue française « rime presque spontanément, écrit White, et avec un grand naturel ». Ce n’est pas le cas de l’anglais. Kirchwey tente de contourner l’obstacle en ayant recours aux rimes imparfaites, une vieille tradition de la poésie anglaise. Mais le résultat est souvent fâcheux. Ainsi, L’inflexion des voix chères qui se sont tues, dernier vers du poème Mon rêve familier devient The modulation of voices gone silent, but dear.
Dans la New York Review of Books, le musicologue Charles Rosen, moins sévère pour Kirchwey, regrette aussi les artifices générés par la recherche de rimes imparfaites, comme dans cette traduction des vers célèbres : Les sanglots longs /Des violons /De l’automne / Blessent mon cœur /D’une langueur / Monotone. Cela donne : The long sobbing / Of autumn strings / Grievous, / Wounds my heart / With a langour that / Is monotonous.
« L’essentiel de l’effet poétique est perdu », écrit Rosen.