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Victor Hugo contre les « vandales »

À Paris, le vandalisme fleurit et prospère sous nos yeux. Le vandalisme est architecte. Le vandalisme se carre et se prélasse. Le vandalisme est fêté, applaudi, encouragé, admiré, caressé, protégé, consulté, subventionné, défrayé, naturalisé. Le vandalisme est entrepreneur de travaux pour le compte du gouvernement. Il s’est installé sournoisement dans le budget, et il le grignote à petit bruit, comme le rat son fromage. Et certes, il gagne bien son argent. Tous les jours il démolit quelque chose du peu qui nous reste de cet admirable vieux Paris. Que sais-je ? Le vandalisme a badigeonné Notre-Dame, le vandalisme a retouché les tours du Palais-de-Justice, le vandalisme a rasé Saint-Magloire, le vandalisme a détruit le cloître des Jacobins, le vandalisme a amputé deux flèches sur trois à Saint-Germain-des Prés. Nous parlerons peut-être dans quelques instans des édifices qu’il bâtit. (…)

Quelquefois il se fait propriétaire, et il change la tour magnifique de Saint-Jacques-de-la-Boucherie en fabrique de plomb de chasse, impitoyablement fermée à l’antiquaire fureteur ; et il fait de la nef de Saint-Pierre-aux-Bœufs un magasin de futailles vides, de l’Hôtel de Sens une écurie à rouliers, de la Maison-de-la-Couronne-d’or une draperie, de la chapelle de Cluny une imprimerie. Quelquefois il se fait peintre en bâtiment et il démolit Saint-Landry pour construire sur l’emplacement de cette simple et belle église une grande laide maison qui ne se loue pas. Quelquefois il se fait greffier, et il encombre de paperasses la Sainte-Chapelle, cette église qui sera la plus admirable parure de Paris, quand il aura détruit Notre-Dame. Quelquefois il se fait spéculateur, et dans la nef déshonorée de Saint-Benoît, il emboîte violemment un théâtre, et quel théâtre ! Opprobre ! Le cloître saint, docte et grave des bénédictins, métamorphosé en je ne sais quel mauvais lieu littéraire !

(…) On dit que le vandalisme a déjà condamné notre vieille et irréparable église de Saint-Germain-l’Auxerrois. Le vandalisme a son idée à lui. Il veut faire tout à travers Paris une grande, grande, grande rue. Une rue d’une lieue ! Que de magnifiques dévastations chemin faisant ! Saint-Germain-l’Auxerrois y passera, l’admirable tour de Saint-Jacques-de-la-Boucherie y passera peut-être aussi. Mais qu’importe ! Une rue d’une lieue ! Comprenez-vous comme cela sera beau ! Une ligne droite tirée du Louvre à la barrière du Trône ! d’un bout de la rue, de la barrière, on contemplera la façade du Louvre. Il est vrai que tout le mérite de la colonnade de Perrault est dans ses proportions et que ce mérite s’évanouira dans la distance ; mais qu’est-ce que cela fait ? On aura une rue d’une lieue ! De l’autre bout, du Louvre, on verra la barrière du Trône, les deux colonnes proverbiales que vous savez, maigres, fluettes et risibles comme les jambes de Potier. Ô merveilleuse perspective !

Victor Hugo, « Guerre aux démolisseurs », 1832.

LE LIVRE
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Guerre aux démolisseurs de Victor Hugo, Revue des deux mondes, 1832

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