À bas la bourgeoisie fécale
Publié en mai 2025. Par Books.
L’ouvrage sentait le soufre, au point que l’éditeur qui devait le publier l’a finalement refusé. Qu’à cela ne tienne : son auteur, Ulf Poschardt, journaliste assez connu outre-Rhin, ancien rédacteur en chef à Die Welt, l’a autopublié en janvier dernier sur Amazon. Il y a connu un tel succès (40 000 exemplaires écoulés) qu’un nouvel éditeur, Westend, qui s’est fait une spécialité d’accueillir les exclus de l’establishment, n’a pas tardé à se mettre sur les rangs. Bien lui en a pris : le livre trône toujours en bonne place sur la liste des meilleures ventes outre-Rhin.
Son titre donnera une idée de ce qui a pu susciter pareille polémique : Shitbürgertum. Bürgertum, c’est la « bourgeoisie », en allemand. Et shit un anglicisme que nous nous dispenserons de traduire. Cette bourgeoisie disons « fécale », à laquelle s’en prend Poschardt, correspond à l’intelligentsia de gauche, à nos « bobos » des grandes villes, plutôt écolos. Voici comment la quatrième de couverture du livre définit ce bourgeois qui, selon Poschardt, domine actuellement le discours médiatique et l’université : « Avec un mélange malsain de prétention et d’esprit de soumission, il se met en scène comme un sauveur du monde moralement supérieur – mais il défend surtout ses propres privilèges et intérêts. » Dans le Tageszeitung, Konstantin Nowotny développe : « Ceux qu’il insulte avec délectation sont souvent fonctionnaires, travaillent dans des fondations, en politique, dans la culture ou dans les sciences – toutes les mauvaises, bien entendu. » Poschardt, lui, se réclame plutôt des libertariens. Ses modèles : Trump, Musk, Milei. Faut-il préciser que Shitbürgertum ne s’est guère attiré les faveurs de la presse traditionnelle ? Dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, par exemple, Philipp Krohn estime qu’il ne s’agit pas d’« un bon livre. Il fait du dénigrement anti-Verts indifférencié, en l’accompagnant d’une portion de Nietzsche, Gramsci et Deleuze/Guattari. Même les pensées justes sont écrasées par des généralisations. »